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    Ne trouve pas étrange, homme du monde, artiste,
    Qui que tu sois, de voir par un portail si triste
    S'ouvrir fatalement ce volume nouveau.

    Hélas ! tout monument qui dresse au ciel son faîte,
    Enfonce autant les pieds qu'il élève la tête.
    Avant de s'élancer tout clocher est caveau,

    En bas, l'oiseau de nuit, l'ombre humide des tombes ;
    En haut, l'...

  • Il naît sous le soleil de nobles créatures
    Unissant ici-bas tout ce qu’on peut rêver,
    Corps de fer, cœur de flamme, admirables natures.

    Dieu semble les produire afin de se prouver ;
    Il prend, pour les pétrir, une argile plus douce,
    Et souvent passe un siècle à les parachever.

    Il met, comme un sculpteur, l’empreinte de son pouce
    Sur leurs fronts...

  • Dieu fit le con, ogive énorme,
    Pour les chrétiens,
    Et le cul, plein-cintre difforme,
    Pour les païens ;
    Pour les sétons et les cautères
    Il fit les poix,
    Et pour les pines solitaires
    Il fit les doigts.

  • Ne sois pas étonné si la foule, ô poète,
    Dédaigne de gravir ton œuvre jusqu’au faîte !
    La foule est comme l’eau qui fuit les hauts sommets :
    Où le niveau n’est pas, elle ne vient jamais.
    Donc, sans prendre à lui plaire une peine perdue,
    Ne fais pas d’escalier à ta pensée ardue :
    Une rampe aux boiteux ne rend pas le pied sûr.
    Que le pic solitaire...

  • On voit dans le musée antique,
    Sur un lit de marbre sculpté,
    Une statue énigmatique
    D’une inquiétante beauté.

    Est-ce un jeune homme ? est-ce une femme,
    Une déesse, ou bien un dieu ?
    L’amour, ayant peur d’être infâme,
    Hésite et suspend son aveu.

    Dans sa pose malicieuse,
    Elle s’étend, le dos tourné
    Devant la foule curieuse,
    Sur...

  • Quand je mourrai, que l’on me mette,
    Avant de clouer mon cercueil,
    Un peu de rouge à la pommette,
    Un peu de noir au bord de l’œil ;

    Car je veux, dans ma bière close,
    Comme le soir de son aveu,
    Rester éternellement rose
    Avec du khol sous mon œil bleu.

    Pas de suaire en toile fine ;
    Mais drapez-moi dans les plis blancs
    De ma robe de...

  • J’aime d’un fol amour les monts fiers et sublimes !
    Les plantes n’osent pas poser leurs pieds frileux
    Sur le linceul d’argent qui recouvre leurs cimes ;
    Le soc s’émousserait à leurs pics anguleux ;

    Ni vigne aux bras lascifs, ni blés dorés, ni seigles ;
    Rien qui rappelle l’homme et le travail maudit.
    Dans leur air libre et pur nagent des essaims d’aigles,...

  • À la Piazetta, sous l’ombre des portiques,
    Vanutelli nous montre, en leur costume ancien,
    Dames et jeunes gens à l’air patricien
    Causant entre eux d’amour ou d’affaires publiques.

    Hors du cadre, évoqués par des charmes magiques,
    On croit voir des portraits de Giorgione ou Titien
    Qui, sous le velours noir du loup vénitien,
    Ébauchent, comme au bal, des...

  • Je hais plus que la mort cette débauche prude
    Qui n’ose sortir que de nuit,
    Et retourne la tête avec inquiétude
    Tout empourprée au moindre bruit,
    Et joue à la vertu comme une honnête femme,
    ...

  • Je vous aime, ô jeune fille !
    Aussi, lorsque je vous vois,
    Mon regard de bonheur brille,
    Aussi tout mon sang pétille
    Lorsque j’entends votre voix.

    Douce à mon amour timide,
    Vous en accueillez l’aveu,
    Mais sans qu’un rayon humide
    Argente votre œil limpide,
    Lac pur où dort le ciel bleu.

    Pourquoi cette retenue ?
    Entre nous, rien...