• Ma fille, laisse là ton aiguille et ta laine ;
    Le maître va rentrer ; sur la table de chêne
    Avec la nappe neuve aux plis étincelants
    Mets la faïence claire et les verres brillants.
    Dans la coupe arrondie à l'anse en col de cygne
    Pose les fruits choisis sur des feuilles de vigne :
    Les pêches que recouvre un velours vierge encor,
    Et les lourds raisins bleus...

  • Mon coeur dans le silence a soudain tressailli,
    Comme une onde que trouble une brise inquiète ;
    Puis la paix des beaux soirs doucement s'est refaite,
    Et c'est un calme ciel qu'à présent je reflète
    En tendant vers tes yeux mon désir recueilli.

    Comme ceux-là qu'on voit dans les anciens tableaux,
    Mains jointes et nu-tête, à genoux sur la pierre,
    Je...

  • Dans l'ombre tiède, où toute emphase s'atténue,
    Sur les coussins, parmi la flore des lampas,
    L'effeuillement des heures d'or qu'on n'entend pas
    Vibrer ainsi qu'un son d'archet qui diminue.

    S'affiner l'âme en une extase si ténue ;
    Jouir son coeur sur une pointe de compas ;
    Tenter parmi des flacons d'or d'exquis trépas ;
    Ne plus savoir ce que sa vie...

  • Lentement, doucement, de peur qu?elle se brise,
    Prendre une âme ; écouter ses plus secrets aveux,
    En silence, comme on caresse des cheveux ;
    Atteindre à la douceur fluide de la brise ;

    Dans l?ombre, un soir d?orage, où la chair s?électrise,
    Promener des doigts d?or sur le clavier nerveux ;
    Baisser l?éclat des voix ; calmer l?ardeur des feux ;
    Exalter la...

  • Et ce soir-là, je ne sais,
    Ma douce, à quoi tu pensais,
    Toute triste,
    Et voilée en ta pâleur,
    Au bord de l'étang couleur
    D'améthyste.

    Tes yeux ne me voyaient point ;
    Ils étaient enfuis loin, loin
    De la terre ;
    Et je sentais, malgré toi,
    Que tu marchais près de moi,
    Solitaire.

    Le bois était triste aussi,
    Et du...

  • J'adore l'indécis, les sons, les couleurs frêles,
    Tout ce qui tremble, ondule, et frissonne, et chatoie :
    Les cheveux et les yeux, l'eau, les feuilles, la soie,
    Et la spiritualité des formes grêles ;

    Les rimes se frôlant comme des tourterelles,
    La fumée où le songe en spirales tournoie,
    La chambre au crépuscule, où Son profil se noie,
    Et la...

  • J?aime l?aube aux pieds nus qui se coiffe de thym,
    Les coteaux violets qu?un pâle rayon dore,
    Et la persienne ouverte avec un bruit sonore,
    Pour boire le vent frais qui monte du jardin,

    La grand?rue au village un dimanche matin,
    La vache au bord de l?eau toute rose d?aurore,
    La fille aux claires dents, la feuille humide encore,
    Et le divin cristal d?un...

  • Dans la splendeur dorée et cruelle du soir
    Les taureaux, fronts crépus et sanglantes paupières,
    Se hâtant lourdement sous les sombres lanières,
    Mélancoliquement s?en vont à l?abattoir.

    Auprès d?eux, dominant le troupeau du trottoir,
    Les beaux bouchers, casqués de vivaces crinières,
    S?avancent, déployant de puissantes manières,
    Et vont roulant le torse...

  • J?aime invinciblement. J?aime implacablement.
    Je sais qu?il est des coeurs de neige et de rosée ;
    Moi, l?amour sous son pied me tient nue et brisée ;
    Et je porte mes sens comme un mal infamant.

    Ma bouche est détendue, et mes hanches sont mûres ;
    Mes seins un peu tombants ont la lourdeur d?un fruit ;
    Comme l?impur miroir d?un restaurant de nuit,
    Mon...

  • Ce soir, ta chair malade a des langueurs inertes ;
    Entre tes doigts fiévreux meurent tes beaux glaïeuls ;
    Ce soir, l?orage couve, et l?odeur des tilleuls
    Fait pâlir par instants tes lèvres entr?ouvertes.

    Les yeux plongeant au fond des campagnes désertes,
    Nous sentons croître en nous, sous la nue en linceuls,
    Cette solennité tragique d?être seuls ;
    Et...