I
Le fleuve au vent du soir fait chanter ses roseaux.
Seul je m'en suis allé. - J'ai dénoué l'amarre,
Puis je me suis couché dans ma jonque bizarre,
Sans bruit, de peur de faire envoler les oiseaux.
Et nous sommes partis, tous deux, au fil de l'eau,
Sans savoir où, très lentement. - O charme rare,
Que donne un inconnu fluide où l'on s'égare...
-
-
Seul, sur l?horizon bleu vibrant d?incandescence,
L?antique sphinx s?allonge, énorme et féminin.
Dix mille ans ont poussé ; fidèle à son destin,
Sa lèvre aux coins serrés garde l?énigme immense.
De tout ce qui vivait au jour de sa naissance,
Rien ne reste que lui. Dans le passé lointain,
Son âge fait trembler le songeur incertain ;
Et l?ombre de l?... -
C?est un beau soir couleur de rose et d?ambre clair.
Le temple d?Adonis, en haut du promontoire,
Découpe sur fond d?or sa colonnade noire ;
Et la première étoile a brillé sur la mer...
Pendant qu?un roseau pur module un lent accord,
Là-bas, Pan accoudé sur les monts se soulève
Pour voir danser, pieds nus, les nymphes sur la grève ;
Et des vaisseaux d?... -
L?aube d?une clarté s?épanche dans mon âme.
Au mur de l?horizon j?ai vu luire une flamme.
Les lys soudain dans l?ombre ont frémi de ferveur
Et j?ai senti passer la robe du sauveur.
Je suis le voyageur endormi sur la route,
Las et le coeur sinistre, au carrefour du doute,
Suant l?angoisse au fond d?un cauchemar mortel,
Et qui, dans le matin dressé comme... -
L?Homme, puni des dieux parce qu?il a trouvé,
Pareil en sa misère à l?époux de Jocaste,
Marche de siècle en siècle et, las du ciel néfaste,
Demande chaque soir s?il n?est pas arrivé.
Mais, guidant son bâton qui se heurte aux pavés,
Sa fille près de lui glisse, voilée et chaste,
Et, fidèle, accompagne, ainsi qu?un pur constraste,
L?antique désespoir dont... -
Le vent tourbillonnant, qui rabat les volets,
Là-bas tord la forêt comme une chevelure.
Des troncs entrechoqués monte un puissant murmure
Pareil au bruit des mers, rouleuses de galets.
L'Automne qui descend les collines voilées
Fait, sous ses pas profonds, tressaillir notre coeur ;
Et voici que s'afflige avec plus de ferveur
Le tendre désespoir... -
Le soir tombe ; la nuit millénaire descend...
Sur le temple écroulé pullulent les théâtres ;
Et les villes de feu, les villes idolâtres
Brûlent - rouges au loin - dans le soir saisissant.
L?or-soleil s?est couché dans un marais de sang ;
Et l?âme, sous son fard, suant des peurs verdâtres
Écoute au fond du ciel que contemplent les pâtres
Clouer dans l?... -
Larmes aux fleurs suspendues,
Larmes de sources perdues
Aux mousses des rochers creux ;
Larmes d'automne épandues,
Larmes de cors entendues
Dans les grands bois douloureux ;
Larmes des cloches latines,
Carmélites, Feuillantines...
Voix des beffrois en ferveur ;
Larmes, chansons argentines
Dans les vasques florentines
... -
Épiques survivants des vieux âges que hante
Une mystérieuse et lointaine épouvante,
Les Monts dressent au ciel leur tumulte géant.
La terre les vénère ainsi que ses grands prêtres,
Et, dans la hiérarchie éternelle des êtres,
Ils n?ont au-dessus d?eux, les augustes ancêtres,
Que le grand ancêtre Océan.
Le tonnerre leur plaît. Tout le ciel qui s?embrase... -
Hors la ville de fer et de pierre massive,
À l?aurore, le choeur des beaux adolescents
S?en est allé, pieds nus, dans l?herbe humide et vive,
Le coeur pur, la chair vierge et les yeux innocents.
Toute une aube en frissons se lève dans leurs âmes.
Ils vont rêvant de chars dorés, d?arcs triomphaux,
De chevaux emportant leur gloire dans des flammes,
Et d?...