• Seras-tu de l'amour l'éternelle pâture ?
    A quoi te sert la volonté,
    Si ce n'est point, ô coeur, pour vaincre ta torture,
    Et dans la paix enfin, plus fort que la nature,
    T'asseoir sur le désir dompté,

    Ainsi qu'un bestiaire, après la lutte, règne
    Sur son tigre qui s'est rendu,
    Et s'assied sur la bête, et, de son poing qui saigne
    La courbant jusqu'à...

  • C'est une grande allée à deux rangs de tilleuls.
    Les enfants, en plein jour, n'osent y marcher seuls,
    Tant elle est haute, large et sombre.
    Il y fait froid l'été presque autant que l'hiver ;
    On ne sait quel sommeil en appesantit l'air,
    Ni quel deuil en épaissit l'ombre.

    Les tilleuls sont anciens ; leurs feuillages pendants
    Font muraille au dehors et...

  • A l'Air, le dieu puissant qui soulève les ondes
    Et fouette les hivers,

    A l'Air, le dieu léger qui rend les fleurs fécondes
    Et sonores les vers,

    Salut ! C'est le grand dieu dont la robe flottante
    Fait le ciel animé ;

    Et c'est le dieu furtif qui murmure à l'amante :
    "Voici le bien-aimé."

    C'est lui qui fait courir le long des...

  • à Emmanuel Des Essarts

    Quand d'une perte irréparable
    On garde au coeur le souvenir,
    On est parfois si misérable
    Qu'on délibère d'en finir.

    La vie extérieure oppresse :
    Son mobile et bruyant souci
    Fatigue... et dans cette détresse
    On murmure : "Que fais-je ici ?

    "Libre de fuir tout ce tumulte
    Où ma douleur n'a point de part,...

  • L'azur n'est plus égal comme un rideau sans pli.
    La feuille, à tout moment, tressaille, vole et tombe ;
    Au bois, dans les sentiers où le taillis surplombe,
    Les taches de soleil, plus larges, ont pâli.

    Mais l'oeuvre de la sève est partout accompli :
    La grappe autour du cep se colore et se bombe,
    Dans le verger la branche au poids des fruits succombe,
    Et...

  • Dans cette mascarade immense des vivants
    Nul ne parle à son gré ni ne marche à sa guise ;
    Faite pour révéler, la parole déguise,
    Et la face n'est plus qu'un masque aux traits savants.

    Mais vient l'heure où le corps, infidèle ministre,
    Ne prête plus son geste à l'âme éparse au loin,
    Et, tombant tout à coup dans un repos sinistre,
    Cesse d'être complice et...

  • Quand l'être cher vient d'expirer,
    On sent obscurément la perte,
    On ne peut pas encor pleurer :
    La mort présente déconcerte ;

    Et ni le lugubre drap noir,
    Ni le dies irae farouche,
    Ne donnent forme au désespoir :
    La stupeur clôt l'âme et la bouche.

    Incrédule à son propre deuil,
    On regarde au fond de la tombe,
    Sans rien comprendre à...

  • Je veux lui dire quelque chose,
    Je ne peux pas ;
    Le mot dirait plus que je n'ose,
    Même tout bas.

    D'où vient que je suis plus timide
    Que je n'étais ?
    Il faut parler, je m'y décide...
    Et je me tais.

    Les aveux m'ont paru moins graves
    A dix-huit ans ;
    Mes lèvres ne sont plus si braves
    Depuis longtemps.

    J'ai peur, en...

  • L'Indulgence est tendre, elle est femme.
    Ceux qu'un faux pas, même expié,
    Dans le monde à jamais diffame,
    Lavent leur front dans sa pitié.

    Humble soeur aux longues paupières,
    Pour l'homme, fût-il criminel,
    Tandis qu'on lui jette des pierres,
    Elle garde un pleur fraternel.

    S'approchant du coeur plein de fange,
    De scorie épaisse et de...

  • Ce beau printemps qui vient de naître
    A peine goûté va finir ;
    Nul de nous n'en fera connaître
    La grâce aux peuples à venir.

    Nous n'osons plus parler des roses :
    Quand nous les chantons, on en rit ;
    Car des plus adorables choses
    Le culte est si vieux qu'il périt.

    Les premiers amants de la terre
    Ont célébré Mai sans retour,
    Et...