• Je voudrais, les prunelles closes,
    Oublier, renaître, et jouir
    De la nouveauté, fleur des choses,
    Que l'àge fait évanouir.

    Je resaluerais la lumière,
    Mais je déplierais lentement
    Mon âme vierge et ma paupière
    Pour savourer l'étonnement ;

    Et je devinerais moi-même
    Les secrets que nous apprenons ;
    J'irais seul aux êtres que j'aime...

  • Que n'ai-je à te soumettre ou bien à t'obéir ?
    Je te vouerais ma force ou te la ferais craindre ;
    Esclave ou maître, au moins je te pourrais contraindre
    A me sentir ta chose ou bien à me haïr.

    J'aurais un jour connu l'insolite plaisir
    D'allumer dans ton coeur des soifs, ou d'en éteindre,
    De t'être nécessaire ou terrible, et d'atteindre,
    Bon gré, mal gré...

  • On a bâti là, plus réel
    Que l'échelle du patriarche,
    Un escalier dont chaque marche
    Est vraiment un pas vers le ciel.

    Dans la nature tout entière
    L'architecte prit à son gré
    Pour cet édifice sacré
    La plus glorieuse matière :

    Il prit des marbres sans rivaux,
    Fragments de ces pierres illustres
    Que la pioche aveugle des rustres
    ...

  • Ces vers, je les dédie aux amis inconnus,
    A vous, les étrangers en qui je sens des proches,
    Rivaux de ceux que j'aime et qui m'aiment le plus,
    Frères envers qui seuls mon coeur est sans reproches
    Et dont les coeurs au mien sont librement venus.

    Comme on voit les ramiers sevrés de leurs volières
    Rapporter sans faillir, par les cieux infinis,
    Un cher...

  • Le vase où meurt cette verveine
    D'un coup d'éventail fut fêlé ;
    Le coup dut effleurer à peine :
    Aucun bruit ne l'a révélé.

    Mais la légère meurtrissure,
    Mordant le cristal chaque jour,
    D'une marche invisible et sûre
    En a fait lentement le tour.

    Son eau fraîche a fui goutte à goutte,
    Le suc des fleurs s'est épuisé ;
    Personne encore ne...

  • Dans les verres épais du cabaret brutal,
    Le vin bleu coule à flots et sans trêve à la ronde ;
    Dans les calices fins plus rarement abonde
    Un vin dont la clarté soit digne du cristal.

    Enfin la coupe d'or du haut d'un piédestal
    Attend, vide toujours, bien que large et profonde,
    Un cru dont la noblesse à la sienne réponde :
    On tremble d'en souiller l'...

  • Le présent se fait vide et triste,
    Ô mon amie, autour de nous ;
    Combien peu de passé subsiste !
    Et ceux qui restent changent tous.

    Nous ne voyons plus sans envie
    Les yeux de vingt ans resplendir,
    Et combien sont déjà sans vie
    Des yeux qui nous ont vus grandir !

    Que de jeunesse emporte l'heure,
    Qui n'en rapporte jamais rien !
    ...

  • Splendeur excessive, implacable,
    Ô beauté, que tu me fais mal !
    Ton essence incommunicable,
    Au lieu de m'assouvir, m'accable :
    On n'absorbe pas l'idéal.

    L'éternel féminin m'attire,
    Mais je ne sais comment l'aimer.
    Beauté, te voir n'est qu'un martyre,
    Te désirer n'est qu'un délire,
    Tu n'offres que pour affamer !

    Je porte envie au...

  • Ô maître des charmeurs de l'oreille, ô Ronsard,
    J'admire tes vieux vers, et comment ton génie
    Aux lois d'un juste sens et d'une ample harmonie
    Sait dans le jeu des mots asservir le hasard.

    Mais, plus que ton beau verbe et plus que ton grand art,
    J'aime ta passion d'antique poésie
    Et cette téméraire et sainte fantaisie
    D'être un nouvel Orphée aux hommes...

  • Heureuses les lèvres de chair !
    Leurs baisers se peuvent répondre ;
    Et les poitrines pleines d'air !
    Leurs soupirs se peuvent confondre.

    Heureux les coeurs, les coeurs de sang !
    Leurs battements peuvent s'entendre ;
    Et les bras ! Ils peuvent se tendre,
    Se posséder en s'enlaçant.

    Heureux aussi les doigts ! Ils touchent ;
    Les yeux ! Ils...