• La Mélencolia se tient sur une pierre,
    Le visage en sa main, cependant que le soir,
    Triste, comme elle, étend son ombre sur la terre
    Et qu’au loin le soleil s’éteint dans un ciel noir.

    Que bâtit-on près d’elle ? Est-ce un grand monastère
    Pour une foi qui meurt, ou bien quelque manoir
    Dont les canons un jour feront de la poussière ?
    — Le soleil,...

  • Dans une cage de bois blanc,
    Où manquait l’espace à ses ailes,
    On voyait un aigle vivant
    Qui tenait closes ses prunelles ;

    Au-dessus de lui murmuraient,
    Roucoulaient, agitaient leurs têtes,
    Deux colombes qui s’adoraient
    Selon l’usage de ces bêtes.

    Et par instants l’oiseau royal
    Abaissant ses beaux yeux moroses,
    Regardait le couple...

  • Des enfants qui souffraient parce qu’ils étaient nés,
    Des femmes qui mouraient pour les avoir fait naître,
    Des hommes qui criaient comme font les damnés,
    Et qui voulaient la mort afin de ne plus être ;

    Des vieillards qui traînaient, — mornes, abandonnés,
    Le néant dans le cœur, le néant dans la tête, —
    Le long des tristes murs les débris de leur bête :...

  • Morne fatalité, Vieillesse, horreur des yeux,
    O Vieillesse, ironie amère dont les Dieux
    Se plaisent à railler le néant que nous sommes,
    Toi par qui les plus beaux et les meilleurs des hommes
    Sont déchus, dégradés, sont tout chargés de maux,
    Et courbés vers le sol comme des animaux,
    Pourquoi subissons-nous l’horreur de ton outrage ?
    — Dieux du sublime...

  • La pierre était triste, en songeant au chêne
    Qui libre et puissant croît au grand soleil,
    Du haut des rochers regarde la plaine,
    Et frissonne et rit quand l’air est vermeil.

    Le chêne était triste, en songeant aux bêtes
    Qu’il voyait courir sous l’ombre des bois,
    Aux cerfs bondissants et dressant leurs têtes,
    Et jetant au ciel des éclats de voix.

    ...
  • Pareille en ton caprice aux reines d’Orient,
    Bizarre déité, qui fais en souriant
    Mourir ceux qui venaient de s’enivrer la tête
    Aux parfums de ton corps, à la brûlante fête
    Que leur donnaient tes seins d’où ruisselait l’amour :
    — Reine, malgré la mort, quand apparaît le jour,
    Malgré ta cruauté tranquille, et les mensonges
    De tes bras repliés pour...

  • Oh ! si tu pouvais, comme la sirène,
    Emporter mon cœur dans le fond des eaux,
    Dans un clair palais, où tu serais reine,
    Dans un palais clair tout rempli d’oiseaux,

    Où près des bassins faits de porcelaine,
    Pleins de nénuphars et de longs roseaux,
    Je m’endormirais en ta chère haleine,
    Sentant sur mon cœur la fraîcheur des eaux.

    Oh ! si tu pouvais...

  • Au visage de mon squelette
    Voici le loup de velours noir,
    Le loup où votre lèvre, un soir.
    Mit des parfums de violette.

    Par cette antithèse toujours
    Je veux me rappeler, madame,
    Le vide aimable de votre âme
    Et la vanité des amours.

    Oh ! je ne me plains pas : la chose
    Est trop connue en vérité ;
    Mais j’ai quelque peu regretté
    ...

  • L’Océan de l’Immensité
    Agite & soulève ses vagues.
    Le Soleil brille, & sa clarté
    Y fait luire des formes vagues.

    Et sans cesse, à l’appel du vent,
    Des flots montent à la surface ;
    Puis soudain ce qui fut vivant
    S’éteint, s’évanouit, s’efface.

  • Un Christ en croix, saignant, maigre, pâle, livide.
    Il est seul, déserté de tous ; le ciel est vide :
    Ce ciel qu’il évoquait d’un regard éperdu :
    Ne s’est pas entr’ouvert et n’a rien répondu :
    Et ce Christ est-il mort dans l’angoisse suprême,
    Ayant douté de nous, de douter de Dieu même ?