• Quand la mort (notre heure est écrite)
    Clora ma lèvre et son secret,
    Ta chère main, d’un drap discret,
    Me couvrira, suivant le rite.

    Et je te vois, toute interdite,
    Contempler comment apparaît,
    Là-dessous, ce qu’on adorait.
    N’en fais rien, cette vue irrite !

    Tu songerais qu’aux jours passés,
    Dans l’ardeur des baisers pressés
    Je t’...

  • Naufragé converti, j’ai voué ma carène
    Au repos absolu ; je vous renonce, ô mers !
    Et vous, dangers aimés, traîtres cieux, bords pervers,
    Hurlements de Charybde, appels de la Syrène !

    Ainsi je me berçais sur la plage sereine,
    Lorsqu’un cri de détresse émeut soudain les airs,
    Et j’aperçois, roulant parmi les flots amers,
    Une pâle beauté dont la perte...

  • L’immensité t’écrase, — impasse
    Dont les sphères sont l’horizon ;
    Regarde à tes pieds, ô Raison !
    Les cieux sont hauts, ta vue est basse.

    Vois ! pour l’humble ciron qui passe,
    L’univers est fait d’un gazon ;
    Une heure écoule une saison ;
    Le point lui-même est un espace.

    De ces infiniment petits,
    Les impalpables sont sortis,
    Les...

  • L’aube est volcan ; midi, fournaise ; août fait éclore
    Comme un embrasement le baiser de l’été ;
    Il ruisselle des cieux, écrasante clarté ;
    L’horizon le déchaîne, orageux météore.

    Que faire par ce temps de chaleur qui dévore ?
    S’étendre au cours de l’eau dans un bois écarté,
    Tandis que sur le chêne, en dôme frais voûté,
    La cigale emplit l’air de sa...

  • Ils vont, beaux amoureux, côte à côte, en silence,
    Les yeux baissés à terre, et la main dans la main,
    Sans songer qu’ils sont seuls, éloignés du chemin,
    Et que la nuit s’abat sur la forêt immense.

    Où vont-ils ? Où le cœur les conduit sans défense,
    Impatients et doux sous l’aiguillon divin ;
    Lui, du désir d’oser tout ému dans son sein,
    Elle, tremblant...

  • Si j’avais un arpent de sol, mont, val ou plaine,
    Avec un filet d’eau, torrent, source ou ruisseau,
    J’y planterais un arbre, olivier, saule ou frêne,
    J’y bâtirais un toit, chaume, tuile ou roseau.

    Sur mon arbre, un doux nid, gramen, duvet ou laine,
    Retiendrait un chanteur, pinson, merle ou moineau.
    Sous mon toit, un doux lit, hamac, natte ou berceau,
    ...

  • L’hiver est là. L’oiseau meurt de faim ; l’homme gèle.
    Passe pour l’homme encor ; mais l’oiseau, c’est pitié !
    Dans un bouquin rongé des rats plus qu’à moitié
    J’ai lu qu’il paie aussi la faute originelle.

    La bise a mangé l’air, durci le sol, lié
    Les ruisseaux. — Temps propice aux heureux ! La flanelle
    Les couvre...

  • Sous mes yeux vainement tout se métamorphose,
    L’enfance en la vieillesse, et le jour en la nuit ;
    Dans ce travail muet qui crée et qui détruit,
    C’est toujours même loi, même effet, même cause.

    Aujourd’hui vaut hier. Comme un collier morose
    L’Ennui soude le jour qui passe au jour qui suit ;
    Et l’immobile Dieu gouverne ce circuit,
    Où l’acteur machinal...

  • Comme il vient de porter sa pauvre femme en terre,
    Et qu’on est d’humeur noire un jour d’enterrement,
    Il entre au cabaret ; car la tristesse altère,
    Et les morts sont bien morts ! — c’est là son sentiment.

    Il se prouve en buvant que la vie est sévère ;
    Et, vu que tout bonheur ne dure qu’un moment,
    Il regarde finir mélancoliquement
    Le tabac dans sa...