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    Nous avons oublié combien la terre est dure :
    Au pas lent de nos bœufs le fer tranchant du soc
    L’entame en retournant le chaume et la verdure,
    La divise, et soulève un gros et large bloc.

    Ce labeur dont les mains saignaient, le fer l’endure.
    Plus souple que l’ormeau, plus ferme que le roc,
    Il tient sans trahison tant que sa tâche dure.
    Patient...

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    Toi que tes grands aïeux, du fond de leur sommeil,
    Accablent sous le poids d’une illustre mémoire,
    Tu n’auras pas senti ton nom dans la nuit noire
    Éclore, et comme une aube y faire un point vermeil !

    Je te plains, car peut-être à tes aïeux pareil,
    Tu les vaux, mais le monde ébloui n’y peut croire :
    Ton mérite rayonne indistinct dans leur gloire,...

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    Le rêve, serpent traître éclos dans le duvet,
    Roule autour de mes bras une flatteuse entrave,
    Sur mes lèvres distille un philtre dans sa bave,
    Et m’amuse aux couleurs changeantes qu’il revêt.

    Depuis qu’il est sorti de dessous mon chevet,
    Mon sang glisse figé comme une tiède lave,
    Ses nœuds me font captif et ses regards esclave,
    Et je vis comme...

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    Ce qui la peut guérir, cette enfant le repousse.
    « Oui, je l’aime, et j’en souffre, et ma douleur m’est douce,
                 Dit-elle, et j’en veux bien mourir.
    Sa voix me donne au cœur une vive secousse,
                 Mais j’en tressaille...

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    Pendant que nous faisions la guerre,
    Le soleil a fait le printemps :
    Des fleurs s’élèvent où naguère
    S’entre-tuaient les combattants.

    Malgré les morts qu’elles recouvrent,
    Malgré cet effroyable engrais,
    Voici leurs calices qui s’ouvrent,
    Comme l’an dernier, purs et frais.

    Comment a bleui la pervenche,
    Comment le lis renaît-il...

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    Vous, ne révélez point la destinée ultime,
    O défunts dans la nuit pêle-mêle noyés !
    Dieu seul peut suivre au loin jusqu’à l’extrême abîme
    Le fleuve entier des morts qui roule sous nos pieds.

    Les beaux yeux, les grands cœurs et les fronts pleins de rêve,
    Les couples escortant Juliette et Roméo,
    Tous les restes humains vers la brumeuse grève
    ...

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    Errante, elle demande aux enfants d’alentour
    Une fleur qu’elle a vue un jour en Allemagne,
    Frêle, petite et sombre, une fleur de montagne.
    Au parfum pénétrant comme un aveu d’amour.

    Elle a fait ce voyage, et depuis son retour
    L’incurable langueur du souvenir la gagne :
    Sans doute un charme étrange et mortel accompagne
    Cette fleur qu’elle a vue...

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    Rends la sève aux heureux, naïade de Jouvence,
    À leurs rapides jours donne un long renouveau ;
    Retourne pour eux seuls le fatal écheveau
    Dont le fil mesuré vers les ciseaux s’avance.

    Ceux-là n’ont pas connu le soupir dès l’enfance,
    L’austère appel du Vrai, l’altier défi du Beau,
    Le tourment d’y répondre et l’attrait du tombeau
    Pour le front...

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    Vous aviez l’âge où flotte encore
    La double natte sur le dos,
    Mais où l’enfant qu’elle décore
    Sent le prix de pareils fardeaux ;

    L’âge où l’œil déjà nous évite,
    Quand, sous des vêtements moins courts,
    Devant sa mère, droit et vite,
    On va tous les matins au cours ;

    Où déjà l’on pince les lèvres
    Au tutoiement d’un grand garçon,...

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    Avant le lever du soleil,
    Quand aux yeux il n’apporte encore
    Qu’un pressentiment de l’aurore,
    Et qu’il blanchit plus qu’il ne dore
    Les champs émus d’un lent réveil,

    Au jour qui commence de croître,
    La vitre luit sous les barreaux,
    Et lés colonnettes du cloître
    Sentent l’ombre des passereaux ;

    Le laurier, la rose trémière,
    ...