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    Du bonheur qu’ils rêvaient toujours pur et nouveau
    Les couples exaucés ne jouissent qu’une heure.
    Moins ému, leur baiser ne sourit ni ne pleure ;
    Le nid de leur tendresse en devient le tombeau.

    Puisque l’œil assouvi se fatigue du beau,
    Que la lèvre en jurant un long culte se leurre,
    Que des printemps d’amour le lis, dès qu’on l’effleure,
    Où...

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    Chaque nuit, tourmenté par un doute nouveau,
    Je provoque le sphinx, et j’affirme et je nie…
    Plus terrible se dresse aux heures d’insomnie
    L’inconnu monstrueux qui hante mon cerveau.

    En silence, les yeux grands ouverts, sans flambeau,
    Sur le géant je tente une étreinte infinie,
    Et dans mon lit étroit, d’où la joie est bannie,
    Je lutte sans...

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    Une muse, immobile et la tête penchée,
    Ne chantait plus ; la lyre en soupirait d’ennui,
    Et, se plaignant aux doigts de n’être plus touchée,
    Disait : « Quelle torpeur vous enchaîne aujourd’hui ?

    « Je ne puis rien sans vous, réveillez-vous, doigts roses ;
    L’air est si lourd, j’ai peine à vous parler tout bas,
    Car mes fibres sans vous, comme des lèvres...

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    L’heure où tu possèdes le mieux
    Mon être tout entier, c’est l’heure
    Où, faible et ravi, je demeure
    Sous la puissance de tes yeux.

    Je me mets à genoux, j’appuie
    Sur ton cœur mon front agité,
    Et ton regard comme une pluie...

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    Tu ne traîneras plus, rêveur mélancolique,
    Deux talons paresseux sous un corps famélique :
    Viens ! je t’offre une plume et le coin d’un bureau,
    Rien ne te manquera…

                                  — Qu’au front un numéro.
    Non ! je n’écris jamais que mon cœur ne s’en mêle ;
    J’honore dans la plume un souvenir de l’aile,
    Je ne la puis toucher sans...

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    Quand l’arche s’arrêta, du linceul gris des ondes
    S’éleva lentement la terre d’aujourd’hui ;
    Mais Dieu la divisa cette fois en deux mondes,
    Une moitié pour nous, l’autre moitié pour lui.
    Il nous livra l’Europe et l’Asie et l’Afrique,
    Du Nil au Borysthène et de Marseille à Tyr ;
    Mais il se réserva la féconde Amérique,
    Voulant y voir son œuvre en...

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    PROLOGUE

    Que je puisse à mon gré peupler un panthéon
    Des plus grands immortels nés de la race humaine !
    J’aime la grâce attique et la force romaine,
    Je porterai Lucrèce à droite de Platon.

    Ces hommes, l’âme haute et la tête baissée,
    Scrutent d’un œil puissant deux infinis divers :
    Lucrèce dans l’atome abîme l’univers,
    Platon dans l’...

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    L’habitude est une étrangère
    Qui supplante en nous la raison :
    C’est une ancienne ménagère
    Qui s’installe dans la maison.

    Elle est discrète, humble, fidèle,
    Familière avec tous les coins ;
    On ne s’occupe jamais d’elle,
    ...

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    La lune est grande, le ciel clair
    Et plein d’astres, la terre est blême,
    Et l’âme du monde est dans l’air.
    Je rêve à l’étoile suprême,

    À celle qu’on n’aperçoit pas,
    Mais dont la lumière voyage
    Et doit venir jusqu’ici-bas...

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    J’imagine ! Ainsi je puis faire
    Un ange sous mon front mortel !
    Et qui peut dire en quoi diffère
    L’être imaginé du réel ?

    O mon intime Galatée,
    Qui fais vivre en moi mon amour,
    Par quelle terre es-tu portée ?
    De quel...