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    Oh ! que n’ai-je vécu dans le beau moyen âge,
    Age heureux du poète, âge du troubadour !
    Quand tout ployait sous l’esclavage,
    Lui seul n’avait que le servage
    De sa lyre et de son amour.

    Donc, sous son mantelet emportait sa richesse,
    Sa lyre qui vibrait pour l’hospitalité ;
    Et son estramaçon sans cesse
    Demi-tiré pour sa maîtresse,
    ...

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    Dieu ! Manon, comment es-tu faite ?
    Ton mouchoir est tout déprimé,
    Et sur le dos de ta jaquette
    Le vert gazon est imprimé.
    De cueillir au bois l’aveline,
    Venir à minuit ?… Vous mentez !
    Sortez d’ici, sortez, coquine !
    Ah ! je vois que vous en goûtez !

    Mais votre regard est humide,
    Mais qui peut ainsi vous blêmir ?
    A dix-sept...

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    Donnez-moi votre main, asseyons-nous, ma belle,
    Sur ces palis rompus ; tiens, vois la citadelle
    Au milieu des ravins ainsi qu’un bloc géant ;
    De l’antique Babel on dirait une marche,
    Ou, captive aux sommets des montagnes, une arche
    Fatiguant de son poids l’univers océan.

    Des qui vive ! lointains, des cliquetis, écoute,
    Entends-tu ces clameurs...

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    Tu m’avais dit : Au soir fidèle
    Quand reparaît le bûcheron ;
    Quand, penché sur son escabelle,
    Au sein de sa famille en rond,
    Il partage dans sa misère,
    Triste gain de sa peine amère,
    Un peu de’ pain à ses enfants,
    Qu’au loin l’ambition n’entraîne,
    Et dont nul proscrit par la haine,
    Ne manque à ses embrassements.

    Tu m’avais...

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    La mort sert de morale aux fables de la vie.
    La vie est un champ clos de milliaires semé,
    Où souvent le champion se brise tout armé
    À l’unième… Or, voilà le destin que j’envie !
    Le monde est une mer où l’humble caboteur,
    Pauvre, va se traînant du cirque au promontoire ;
    Où le hardi forban croise sous l’équateur,
    Gorgé du sang du faible, et d’or...

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    Dors, mon bon poignard, dors, vieux compagnon fidèle,
    Dors, bercé dans ma main, patriote trésor !
    Tu dois être bien las ? sur toi le sang ruisselé,
    Et du choc de cent coups ta lame vibre encor !

    Je suis content de toi, tu comprends bien mon âme,
    Tu guettes ses désirs ; quand mon bras assassin
    Te pousse, en l’air traçant une courbe de flamme,
    ...

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    Viens, accours, fille jolie !
    Viens, que j’oublie en ton sein
    Le chagrin,
    Qui, partout, dans cette vie,
    Suit le pauvre pèlerin ;

    Qu’un autre envieux de la gloire
    Dans le tracas coule ses jours ;
    Moi, toujours,
    Riant de ce mot illusoire,
    Je n’ai que la soif des amours !

    Viens, accours, fille jolie !
    Viens, que j’oublie...

  • Jamais je n’oublierai l’heureux instant, madame,
    Où dans la cour d’Eugène enfin je vous revis :
    Je devins fou tout bas, mes sens étaient ravis ;
    Un bonheur inconnu descendit en mon âme.

    Comme le cerf bondit vers sa biche qui brame,
    Comme l’émerillon fond sur un cochevis,
    Comme un enfant descend, éperdu, d’un parvis,
    Comme sur un esquif vient déferler...

  • Hélas ! qui nous dira ce que c’est que l’amour ?
    Pour moi, faible héron aux serres de vautour,
    Je me sens emporté dans le gouffre ou la nue,
    Dans l’antre ténébreux ou sur la plage nue,
    Je me sens expirer sous son bec assassin,
    Qui m’a crevé les yeux ou labouré mon sein,
    Et ne sais rien de plus ! — J’ai lu mille mémoires
    Qui traitent de l’amour ; j’ai...

  • L’Art ne saurait souffrir de verrou ni de chaîne ;
    Il brise tout lien qui l’entrave ou le gêne.
    Il prend pour lui le ciel, le temps, l’immensité,
    Il ne met sous sa dent qu’un pain de liberté.
    Au théâtre surtout il veut son coude à l’aise,
    Pour y pétrir les mœurs comme ou pétrit la glaise,
    Pour y jeter l’aumône aux rois, ses courtisans,
    Un peu de gloire...