• A STÉPHANE MALLARMÉ

    I

    O l'ineffable horreur des étés somnolents
    Où les lilas au long des jardins s'alanguissent
    Et les zéphyrs, soupirs de sistres indolents,
    Sur les fleurs de rubis et d'émeraude glissent !

    Car les vieilles amours s'éveillent sous les fleurs,
    Et les vieux souvenirs, sous le vent qui circule,
    Soulèvent leurs soupirs,...

  • Etouffant en la nuit la rumeur de ses pas
    Le vieux ménétrier sous l'horreur de la lune
    Rôde comme un garou par la lande et la dune.

    Sur la grève des mers il balance ses pas,
    Pris d'un doux mal d'amour pour sa dame la lune
    Qui le leurre au plus loin de la lande et la dune.

    Et le voilà qui vague au vouloir de ses pas
    Vers le miroir des mers où...

  • Ce fut en un soir où les chansons
    Des amants liés par leurs mains lasses
    Mouraient, ô Dame pâle qui passes,
    Au clair de la lune des moissons.

    Long penchée au bord des lourds calices
    Des lys, fleurs des reines et des rois,
    Tu faisais le signe de la croix
    Comme une qui renonce aux délices.

    Chevelure éparse au vent léger,
    Tu...

  • Ô narcisses et chrysanthèmes
    De ce crépuscule d'automne
    Où nos voix reprenaient les thèmes
    Tant tristes du vent monotone !

    Des enfants dansaient sur la route
    Qui mène vers la lande noire
    Où hurla jadis la déroute,
    Sous la lune, des rois sans gloire.

    Nous chantions des chants des vieux âges
    En allant tous deux vers la ville,
    Toi...

  • Sous le souffle étouffé des vents ensorceleurs
    J'entends sourdre sous bois les sanglots et les rêves :
    Car voici venir l'heure où dans des lueurs brèves
    Les feuilles des forêts entonnent, choeur en pleurs,
    L'automnal requiem des soleils et des sèves.

    Comme au fond d'une nef qui vient de s'assombrir
    L'on ouït des frissons de frêles banderolles,
    Et le...

  • Au temps de la mort des marjolaines,
    Alors que bourdonne ton léger
    Rouet, tu me fais, les soirs, songer
    A tes aïeules les châtelaines.

    Tes doigts sont fluets comme les leurs
    Qui dévidaient les fuseaux fragiles.
    Que files-tu, soeur, en ces vigiles,
    Où tu chantes d'heurs et de malheurs ?

    Seraient-ce des linceuls pour tes rêves
    D'amour,...

  • Le clair soleil d'avril ruisselle au long des bois.
    Sous les blancs cerisiers et sous les lilas roses
    C'est l'heure de courir au rire des hautbois.

    Vos lèvres et vos seins, ô les vierges moroses,
    Vont éclore aux baisers zézayants du zéphyr
    Comme aux rosiers en fleur les corolles des roses.

    Déjà par les sentiers où s'étouffe un soupir,
    Au...

  • I

    Mon coeur, ô ma Chimère, est une cathédrale
    Où mes chastes pensers, idolâtres du Beau,
    S'en viennent à minuit sous la flamme lustrale
    Râler leur requiem au pied de ton tombeau.

    J'ai dressé sous le ciel du dôme un sarcophage
    Dont la grave épitaphe en strophes de granit
    Proclamera de l'aube à l'ombre et d'âge en âge
    L'amen et l'hosanna...

  • Une nuit, sous la terrible lune
    Qui saignait parmi les brumes roses,
    Tu parlais, ô soeur, de tristes choses
    Comme une enfant prise de rancune.

    Au loin les appels des mauvais hommes
    Nous montaient des vergers de la plaine
    Où les arbres tordus par la haine
    Tendaient, fruits du mal amour, leurs pommes.

    Tu n'entendis pas le bruit des roues...

  • Le fébrile frisson des murmures d'amour
    M'émeut ce soir les nerfs et vieillit ma mémoire.
    La voix d'un violon sous la soie et la moire
    Me miaule des mots d'inéluctable amour.

    La verveine se pâme en les vases de jade :
    Un fantôme de femme en l'alcôve circule.
    Mais ma mémoire est morte avec le crépuscule,
    Et j'ai perdu mon âme en les vases de jade....