• L'obscurité, dans les chambres, le soir, est une
    Irréconciliable apporteuse de craintes ;
    En deuil, s'habillant d'ombre et de linges de lune,
    Elle inquiète ; elle a de félines étreintes

    Comme une eau des canaux traîtres où l'on se noie
    L'obscurité, c'est la tueuse de la joie
    Qui dépérit, bouquet de roses transitoires,
    Quand elle y verse un peu de ses...

  • Ô neige, toi la douce endormeuse des bruits
    Si douce, toi la soeur pensive du silence,
    Ô toi l'immaculée en manteau d'indolence
    Qui gardes ta pâleur même à travers les nuits,

    Douce ! Tu les éteins et tu les atténues
    Les tumultes épars, les contours, les rumeurs ;
    Ô neige vacillante, on dirait que tu meurs
    Loin, tout au loin, dans le vague des avenues !...

  • Il flotte une musique éteinte en de certaines
    Chambres, une musique aux tristesses lointaines
    Qui s'apparie à la couleur des meubles vieux...
    Musique d'ariette en dentelle et fumée,

    Ariette d'antan qu'on aurait exhumée,
    Informulée encore, et qu'on cherche des yeux :
    Rythmes se renouant, musique qui tâtonne,
    Le vieil air se dégage un peu, se nuançant...

  • Dans le silence et dans le soir de la maison
    A retenti le carillon de la pendule.
    On ne sait si joyeux ou triste, un air ondule :
    Tantôt le chapelet de l'heure en oraison ;

    Puis ce semble un oiseau si peu viable et frêle
    Qui se baigne et qui joue avec des perles d'eau ;
    Puis du verre qui pleut mêlé de fer qui grêle ;
    Etincelles de bruit sous un vague...

  • Toute une vie en nous, non visible, circule
    Et s'enchevêtre en longs remous intermittents ;
    Notre âme en est variable comme le temps ;
    Tantôt il y fait jour et tantôt crépuscule,
    Selon de brefs et de furtifs dérangements
    Tels que ceux du feuillage et des étangs dormants.
    Pourquoi ces accès d'ombre et ces accès d'aurore
    Dans ces zones de soi que soi-...

  • Mon âme, tout ce long et triste après-midi,
    A souffert de la mort d'un bouquet, imminente !
    Il était, loin de moi, dans la chambre attenante
    Où ma peur l'éloigna, déjà presque engourdi,

    Bouquet dépérissant de fleurs qu'on croyait sauves
    Encor pour tout un jour dans la pitié de l'eau,
    Gloxinias de neige avec des galons mauves,
    Bouquet qui dans la chambre...

  • Tel soir fané, telle heure éphémère suscite
    Aux miroirs de mon âme un souvenir de site ;
    Sites recomposés, qu'on eût dit oubliés :
    D'un canal mort avec deux rangs de peupliers

    Dont les feuilles vont se cherchant comme des lèvres ;
    Et d'une âpre colline où de bêlantes chèvres,
    Dont le cri se déchire aux épines aussi,
    S'appellent l'une l'autre, et d'un...

  • Les cygnes blancs, dans les canaux des villes mortes,
    Parmi l'eau pâle où les vieux murs sont décalqués
    Avec des noirs usés d'estampes et d'eaux-fortes,
    Les cygnes vont comme du songe entre les quais.

    Et le soir, sur les eaux doucement remuées,
    Ces cygnes imprévus, venant on ne sait d'où,
    Dans un chemin lacté d'astres et de nuées
    Mangent des fleurs de...

  • Dans quelque ville morte, au bord de l'eau, vivote
    La tristesse de la vieillesse des maisons
    A genoux dans l'eau froide et comme en oraisons ;
    Car les vieilles maisons ont l'allure dévote,

    Et, pour endurer mieux les chagrins qu'elles ont,
    Egrènent les pieux carillons qui leur sont
    Les grains de fer intermittents d'un grand rosaire.
    Vieilles maisons, en...

  • Ô ville, toi ma soeur à qui je suis pareil,
    Ville déchue, en proie aux cloches, tous les deux
    Nous ne connaissons plus les vaisseaux hasardeux
    Tendant comme des seins leurs voiles au soleil,

    Comme des seins gonflés par l'amour de la mer.
    Nous sommes tous les deux la ville en deuil qui dort
    Et n'a plus de vaisseaux parmi son port amer,
    Les vaisseaux qui...