• A Mademoiselle Louise B.

    Un horizon fait à souhait pour le plaisir des yeux.
    FÉNELON.


    I

    Oui, c'est bien le vallon ! le vallon calme et sombre !
    Ici l'été plus frais s'épanouit à l'ombre.
    Ici durent longtemps les fleurs qui durent peu.
    Ici l'âme contemple, écoute, adore, aspire,
    Et prend pitié du monde, étroit et fol empire...

  • Je respire où tu palpites,
    Tu sais ; à quoi bon, hélas !
    Rester là si tu me quittes,
    Et vivre si tu t'en vas ?

    A quoi bon vivre, étant l'ombre
    De cet ange qui s'enfuit ?
    A quoi bon, sous le ciel sombre,
    N'être plus que de la nuit ?

    Je suis la fleur des murailles
    Dont avril est le seul bien.
    Il suffit que tu t'en ailles
    Pour qu'...

  • Ô Virgile ! ô poète ! ô mon maître divin !
    Viens, quittons cette ville au cri sinistre et vain,
    Qui, géante, et jamais ne fermant la paupière,
    Presse un flot écumant entre ses flancs de pierre,
    Lutèce, si petite au temps de tes Césars,
    Et qui jette aujourd'hui, cité pleine de chars,
    Sous le nom éclatant dont le monde la nomme,
    Plus de clarté qu'Athène...

  • Jeunes gens, prenez garde aux choses que vous dites.
    Tout peut sortir d'un mot qu'en passant vous perdîtes.
    Tout, la haine et le deuil ! - Et ne m'objectez pas
    Que vos amis sont sûrs et que vous parlez bas... -
    Ecoutez bien ceci :

    Tête-à-tête, en pantoufle,
    Portes closes, chez vous, sans un témoin qui souffle,
    Vous dites à l'oreille au plus mystérieux...

  • Depuis six mille ans la guerre
    Plait aux peuples querelleurs,
    Et Dieu perd son temps à faire
    Les étoiles et les fleurs.

    Les conseils du ciel immense,
    Du lys pur, du nid doré,
    N'ôtent aucune démence
    Du coeur de l'homme effaré.

    Les carnages, les victoires,
    Voilà notre grand amour ;
    Et les multitudes noires
    Ont pour grelot...

  • Midi chauffe et sème la mousse ;
    Les champs sont pleins de tambourins ;
    On voit dans une lueur douce
    Des groupes vagues et sereins.

    Là-bas, à l'horizon, poudroie
    Le vieux donjon de saint Louis ;
    Le soleil dans toute sa joie
    Accable les champs éblouis.

    L'air brûlant fait, sous ses haleines
    Sans murmures et sans échos,
    Luire...

  • Ciel ! un fourmillement emplit l'espace noir,
    On entend l'invisible errer et se mouvoir ;
    Près de l'homme endormi tout vit dans les ténèbres.
    Le crépuscule, plein de figures funèbres,
    Soupire ; au fond des bois le daim passe en rêvant ;
    A quelque être ignoré qui flotte dans le vent
    La pervenche murmure à voix basse : je t'aime !
    La clochette bourdonne...

  • A Mérante

    Au printemps, quand les nuits sont claires,
    Quand on voit, vagues tourbillons,
    Voler sur les fronts les chimères
    Et dans les fleurs les papillons,

    Pendant la floraison des fèves,
    Quand l'amant devient l'amoureux,
    Quand les hommes, en proie aux rêves,
    Ont toutes ces mouches sur eux,

    J'estime qu'il est digne et sage...

  • Insondable, immuable, éternel, absolu ;
    Face de vision ; être qui toujours crée ;
    Centre ; rayonnement d'épouvante sacrée ;
    Toute-puissance ayant des devoirs et des lois ;
    Présence sans figure et sans borne et sans voix ;
    Seul, pour prunelle ayant l'immensité sereine ;
    Regardant du même oeil ce qu'un puceron traîne,
    Ce que dévore un ver, ce qu'un ciron...

  • LE VIEUX MONDE

    Ô flot, c'est bien. Descends maintenant. Il le faut.
    Jamais ton flux encor n'était monté si haut.
    Mais pourquoi donc es-tu si sombre et si farouche ?
    Pourquoi ton gouffre a-t-il un cri comme une bouche ?
    Pourquoi cette pluie âpre, et cette ombre, et ces bruits,
    Et ce vent noir soufflant dans le clairon des nuits ?
    Ta vague monte...