• Un jour je vis, debout au bord des flots mouvants,
    Passer, gonflant ses voiles,
    Un rapide navire enveloppé de vents,
    De vagues et d'étoiles ;

    Et j'entendis, penché sur l'abîme des cieux,
    Que l'autre abîme touche,
    Me parler à l'oreille une voix dont mes yeux
    Ne voyaient pas la bouche :

    "Poëte, tu fais bien ! Poëte au triste front,
    Tu...

  • Il est dans l'atrium, le beau rouet d'ivoire.
    La roue agile est blanche, et la quenouille est noire ;
    La quenouille est d'ébène incrusté de lapis.
    Il est dans l'atrium sur un riche tapis.

    Un ouvrier d'Egine a sculpté sur la plinthe
    Europe, dont un dieu n'écoute pas la plainte.
    Le taureau blanc l'emporte. Europe, sans espoir,
    Crie, et, baissant les yeux...

  • Le poète s'en va dans les champs ; il admire,
    Il adore ; il écoute en lui-même une lyre ;
    Et le voyant venir, les fleurs, toutes les fleurs,
    Celles qui des rubis font pâlir les couleurs,
    Celles qui des paons même éclipseraient les queues,
    Les petites fleurs d'or, les petites fleurs bleues,
    Prennent, pour l'accueillir agitant leurs bouquets,
    De petits airs...

  • Le firmament est plein de la vaste clarté ;
    Tout est joie, innocence, espoir, bonheur, bonté.
    Le beau lac brille au fond du vallon qui le mure ;
    Le champ sera fécond, la vigne sera mûre ;
    Tout regorge de sève et de vie et de bruit,
    De rameaux verts, d'azur frissonnant, d'eau qui luit,
    Et de petits oiseaux qui se cherchent querelle.
    Qu'a donc le...

  • Lorsque l'enfant paraît, le cercle de famille
    Applaudit à grands cris.
    Son doux regard qui brille
    Fait briller tous les yeux,
    Et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
    Se dérident soudain à voir l'enfant paraître,
    Innocent et joyeux.

    Soit que juin ait verdi mon seuil, ou que novembre
    Fasse autour d'un grand feu vacillant dans la...

  • Puisque le juste est dans l'abîme,
    Puisqu'on donne le sceptre au crime,
    Puisque tous les droits sont trahis,
    Puisque les plus fiers restent mornes,
    Puisqu'on affiche au coin des bornes
    Le déshonneur de mon pays ;

    Ô République de nos pères,
    Grand Panthéon plein de lumières,
    Dôme d'or dans le libre azur,
    Temple des ombres immortelles,
    ...

  • Aimons toujours ! Aimons encore !
    Quand l'amour s'en va, l'espoir fuit.
    L'amour, c'est le cri de l'aurore,
    L'amour c'est l'hymne de la nuit.

    Ce que le flot dit aux rivages,
    Ce que le vent dit aux vieux monts,
    Ce que l'astre dit aux nuages,
    C'est le mot ineffable : Aimons !

    L'amour fait songer, vivre et croire.
    Il a pour réchauffer le...

  • Il te ressemble ; il est terrible et pacifique.
    Il est sous l'infini le niveau magnifique ;
    Il a le mouvement, il a l'immensité.
    Apaisé d'un rayon et d'un souffle agité,
    Tantôt c'est l'harmonie et tantôt le cri rauque.
    Les monstres sont à l'aise en sa profondeur glauque ;
    La trombe y germe ; il a des gouffres inconnus
    D'où ceux qui l'ont bravé ne sont...

  • Les siècles sont au peuple ; eux, ils ont le moment,
    Ils en usent. Ô lutte étrange ! Acharnement !
    Chacun à grand bruit coupe une branche de l'arbre.
    Là, des éclats d'airain, là, des éclats de marbre ;
    La colonne romaine ainsi que l'arc français
    Tombent. Que dirait-on de toi si tu faisais
    Envoler ton lion de Saint-Marc, ô Venise !
    L'histoire est...

  • Moi qu'un petit enfant rend tout à fait stupide,
    J'en ai deux ; George et Jeanne ; et je prends l'un pour guide
    Et l'autre pour lumière, et j'accours à leur voix,
    Vu que George a deux ans et que Jeanne a dix mois.
    Leurs essais d'exister sont divinement gauches ;
    On croit, dans leur parole où tremblent des ébauches,
    Voir un reste de ciel qui se dissipe et fuit...