• Je suis l'esprit, vivant au sein des choses mortes.
    Je sais forger les clefs quand on ferme les portes ;
    Je fais vers le désert reculer le lion ;
    Je m'appelle Bacchus, Noé, Deucalion ;
    Je m'appelle Shakspeare, Annibal, César, Dante ;
    Je suis le conquérant ; je tiens l'épée ardente,
    Et j'entre, épouvantant l'ombre que je poursuis,
    Dans toutes les terreurs...

  • (Et nox facta est, I)

    Depuis quatre mille ans il tombait dans l'abîme.

    Il n'avait pas encor pu saisir une cime,
    Ni lever une fois son front démesuré.
    Il s'enfonçait dans l'ombre et la brume, effaré,
    Seul, et derrière lui, dans les nuits éternelles,
    Tombaient plus lentement les plumes de ses ailes.
    Il tombait foudroyé, morne, silencieux,...

  • Une femme m'a dit ceci : - J'ai pris la fuite.
    Ma fille que j'avais au sein, toute petite,
    Criait, et j'avais peur qu'on n'entendît sa voix.
    Figurez-vous, c'était un enfant de deux mois ;
    Elle n'avait pas plus de force qu'une mouche.
    Mes baisers essayaient de lui fermer la bouche,
    Elle criait toujours ; hélas ! elle râlait.
    Elle voulait téter, je n'...

  • Quelle est la fin de tout ? la vie, ou bien la tombe ?
    Est-ce l'onde où l'on flotte ? est-ce l'ombre où l'on tombe ?
    De tant de pas croisés quel est le but lointain ?
    Le berceau contient-il l'homme ou bien le destin ?
    Sommes-nous ici-bas, dans nos maux, dans nos joies,
    Des rois prédestinés ou de fatales proies ?

    Ô Seigneur, dites-nous, dites-nous, ô Dieu...

  • Hier, la nuit d'été, qui nous prêtait ses voiles,
    Etait digne de toi, tant elle avait d'étoiles !
    Tant son calme était frais ! tant son souffle était doux !
    Tant elle éteignait bien ses rumeurs apaisées !
    Tant elle répandait d'amoureuses rosées
    Sur les fleurs et sur nous !

    Moi, j'étais devant toi, plein de joie et de flamme,
    Car tu me regardais avec...

  • (Et nox facta est, VIII)

    Le soleil était là qui mourait dans l'abîme.

    L'astre, au fond du brouillard, sans air qui le ranime,
    Se refroidissait, morne et lentement détruit.
    On voyait sa rondeur sinistre dans la nuit ;
    Et l'on voyait décroître, en ce silence sombre,
    Ses ulcères de feu sous une lèpre d'ombre.
    Charbon d'un monde éteint ! flambeau...

  • (extrait, I)

    Je suis l'être incliné qui jette ce qu'il pense ;
    Qui demande à la nuit le secret du silence ;
    Dont la brume emplit l'oeil ;
    Dans une ombre sans fond mes paroles descendent,
    Et les choses sur qui tombent mes strophes rendent
    Le son creux du cercueil.

    Mon esprit, qui du doute a senti la piqûre,
    Habite, âpre songeur, la rêverie...

  • Vous qui ne savez pas combien l'enfance est belle,
    Enfant ! n'enviez point notre âge de douleurs,
    Où le coeur tour à tour est esclave et rebelle,
    Où le rire est souvent plus triste que vos pleurs.

    Votre âge insouciant est si doux qu'on l'oublie !
    Il passe, comme un souffle au vaste champ des airs,
    Comme une voix joyeuse en fuyant affaiblie,
    Comme un...

  • Causa tangor ab omni.
    OVIDE.


    Souvent, quand mon esprit riche en métamorphoses
    Flotte et roule endormi sur l'océan des choses,
    Dieu, foyer du vrai jour qui ne luit point aux yeux,
    Mystérieux soleil dont l'âme est embrasée,
    Le frappe d'un rayon, et, comme une rosée,
    Le ramasse et l'enlève aux cieux.

    Alors, nuage errant, ma haute...