• Ni bruits d'aile, ni sons d'eau vive, ni murmures ;
    La cendre du soleil nage sur l'herbe en fleur,
    Et de son bec furtif le bengali siffleur
    Boit, comme un sang doré, le jus des mangues mûres.

    Dans le verger royal où rougissent les mûres,
    Sous le ciel clair qui brûle et n'a plus de couleur,
    Leïlah, languissante et rose de chaleur,
    Clôt ses yeux aux longs...

  • Tu te tairas, ô voix sinistre des vivants !

    Blasphèmes furieux qui roulez par les vents,
    Cris d'épouvante, cris de haine, cris de rage,
    Effroyables clameurs de l'éternel naufrage,
    Tourments, crimes, remords, sanglots désespérés,
    Esprit et chair de l'homme, un jour vous vous tairez !
    Tout se taira, dieux, rois, forçats et foules viles,
    Le rauque...

  • Tel qu'un morne animal, meurtri, plein de poussière,
    La chaîne au cou, hurlant au chaud soleil d'été,
    Promène qui voudra son c?ur ensanglanté
    Sur ton pavé cynique, ô plèbe carnassière !

    Pour mettre un feu stérile en ton oeil hébété,
    Pour mendier ton rire ou ta pitié grossière,
    Déchire qui voudra la robe de lumière
    De la pudeur divine et de la volupté....

  • De même qu'au soleil l'horrible essaim des mouches
    Des taureaux égorgés couvre les cuirs velus,
    Un tourbillon guerrier de peuples chevelus,
    Hors des nefs, s'épaissit, plein de clameurs farouches.

    Tout roule et se confond, souffle rauque des bouches,
    Bruit des coups, les vivants et ceux qui ne sont plus,
    Chars vides, étalons cabrés, flux et reflux
    Des...

  • Du roi Phrygien la fille rebelle
    Fut en noir rocher changée autrefois ;
    La fière Prokné devint hirondelle,
    Et d'un vol léger s'enfuit dans les bois.
    Pour moi, que ne suis-je, ô chère maîtresse,
    Le miroir heureux de te contempler,
    Le lin qui te voile et qui te caresse,
    L'eau que sur ton corps le bain fait couler,
    Le réseau charmant qui contient...

  • C'était l'heure où l'oiseau, sous les vertes feuillées,
    Repose, où tout s'endort, les hommes et les Dieux.
    Du tranquille Sommeil les ailes déployées
    Pâlissaient le ciel radieux.

    Sur les algues du bord, liée au câble rude,
    Argô ne lavait plus sa proue aux flots amers,
    Et les guerriers épars, rompus de lassitude,
    Songeaient, sur le sable des mers....

  • Sous l'herbe haute et sèche où le naja vermeil
    Dans sa spirale d'or se déroule au soleil,
    La bête formidable, habitante des jungles,
    S'endort, le ventre en l'air, et dilate ses ongles.
    De son mufle marbré qui s'ouvre, un souffle ardent
    Fume ; la langue rude et rose va pendant ;
    Et sur l'épais poitrail, chaud comme une fournaise,
    Passe par intervalle un...

  • Le vent froid de la nuit souffle à travers les branches
    Et casse par moments les rameaux desséchés ;
    La neige, sur la plaine où les morts sont couchés,
    Comme un suaire étend au loin ses nappes blanches.

    En ligne noire, au bord de l'étroit horizon,
    Un long vol de corbeaux passe en rasant la terre,
    Et quelques chiens, creusant un tertre solitaire,
    ...

  • Par-delà l'escalier des roides Cordillières,
    Par-delà les brouillards hantés des aigles noirs,
    Plus haut que les sommets creusés en entonnoirs
    Où bout le flux sanglant des laves familières,
    L'envergure pendante et rouge par endroits,
    Le vaste Oiseau, tout plein d'une morne indolence,
    Regarde l'Amérique et l'espace en silence,
    Et le sombre soleil qui meurt...

  • Les plaines de la mer, immobiles et nues,
    Coupent d'un long trait d'or la profondeur des nues.
    Seul, un rose brouillard, attardé dans les cieux,
    Se tord languissamment comme un grêle reptile
    Au faîte dentelé des monts silencieux.
    Un souffle lent, chargé d'une ivresse subtile,
    Nage sur la savane et les versants moussus
    Où les taureaux aux poils lustrés, aux...