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    Qu’est-ce que la patrie ? Est-ce un refuge heureux ?
    Quelque molle oasis, à notre goût ornée,
    Que par caprice un jour nous nous sommes donnée,
    Où se parlent d’amour la terre et l’homme entre eux ?

    Non, la patrie impose et n’offre pas ses nœuds ;
    Elle est la terre en nous malgré nous incarnée
    Par l’immémorial et sévère hyménée
    D’une race et d’...

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    C’est une grande allée à deux rangs de tilleuls.
    Les enfants, en plein jour, n’osent y marcher seuls,
             Tant elle est haute, large et sombre.
    Il y fait froid l’été presque autant que l’hiver ;
    On ne sait quel sommeil en appesantit l’air,
             Ni quel deuil en épaissit l’ombre.

    Les tilleuls sont anciens ; leurs feuillages pendants
    ...

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    J’ai vu, tels que des morts réveillés par le glas,
    Les moines, lampe en main, se ranger en silence,
    Puis pousser, comme un vol de corbeaux qui s’élance,
    Leurs noirs miserere qui plaisent au cœur las.

    Le néant dans le cloître a sonné sous mes pas ;
    J’ai connu la cellule, où le calme commence,
    D’où le monde nous semble une mêlée immense
    Dont le...

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    La Grande Ourse, archipel de l’océan sans bords,
    Scintillait bien avant qu’elle fût regardée,
    Bien avant qu’il errât des pâtres en Chaldée
    Et que l’âme anxieuse eût habité les corps ;

    D’innombrables vivants contemplent depuis lors
    Sa lointaine lueur aveuglément dardée ;
    Indifférente aux yeux qui l’auront obsédée,
    La Grande Ourse luira sur le...

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    Il avait l’âme aride et vaine de sa mère,
    L’œil froid du dieu voleur qui marche à reculons ;
    Il promenait sa grâce, insouciante, altière,
    Et les nymphes disaient : « Quel marbre nous aimons ! »

    Un jour que cet enfant d’Hermès et d’Aphrodite
    Méprisait Salmacis, nymphe du mont Ida,
    La vierge, l’embrassant d’une étreinte subite,
    Pénétra son beau...

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    Durant que je vivais, ainsi qu’en plein désert,
    Dans le rêve, insultant la race qui travaille,
    Comme un lâche ouvrier ne faisant rien qui vaille
    S’enivre et ne sait plus à quoi l’outil lui sert,

    Un soupir, né du mal autour de moi souffert,
    M’est venu des cités et des champs de bataille,
    Poussé par l’orphelin, le pauvre sur la paille,
    Et le...

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    J’ai salué le jour dès avant mon réveil ;
    Il colorait déjà ma pesante paupière,
    Et je dormais encor, mais sa rougeur première
    A visité mon âme à travers le sommeil.

    Pendant que je gisais immobile, pareil
    Aux morts sereins sculptés sur les tombeaux de pierre,
    Sous mon front se levaient des pensers de lumière,
    Et, sans ouvrir les yeux, j’étais...

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    Ici-bas tous les lilas meurent,
    Tous les chants des oiseaux sont courts ;
    Je rêve aux étés qui demeurent
             Toujours…

    Ici-bas les lèvres effleurent
    Sans rien laisser de leur velours ;
    Je rêve aux baisers qui demeurent...

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    Vous me donniez le bras, nous causions seuls tous deux,
    Et les cœurs de vingt ans se font signe bien vite ;
    J’en suis encore ému, fille blonde aux yeux bleus ;
    Mais vous souviendrez-vous de ma courte visite ?

    Hélas ! se souvient-on d’un...

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    La nuit claire bleuit les feuillages tremblants,
    Pose un crêpe mouillé sur les roses bruyères,
    Fait luire les talus comme des linges blancs,
    Baigne les ravins d’ombre, et d’azur les clairières.

    Dans son nimbe nacré la lune resplendit,
    Large et lente, effaçant les profondes étoiles ;
    La colline se hausse et le vallon grandit ;
    L’air froissé d’...