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    Tes petits souliers noirs grillés comme une cage
    Emprisonnent tes pieds plus vifs que des oiseaux,
    Laissant voir à travers leurs délicats réseaux
    Tes bas coloriés fleuris comme un langage.

    Ils ont le glissement du vent dans le bocage,
    La grâce tournoyeuse et grêle des fuseaux,
    L’air mutin de l’abeille aux pointes des roseaux
    Ou de la...

  • Ils ont pour promenoir
    Des vallons verts et mornes.
    Quels prés, matin et soir,
    Ils ont pour promenoir !
    À peine à leur front noir
    On voit poindre les cornes.
    Ils ont pour promenoir
    Des vallons verts et mornes.

    Ils ne peuvent rester
    Une minute en place.
    Où qu’ils soient à brouter,
    Ils ne peuvent rester.
    Aussi font-ils...

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    Aussitôt que le ciel se voile
    Et que le soir, brun tisserand,
    Se met à machiner sa toile
    Dans le mystère qui reprend,

    Je soumets l’homme à mon caprice,
    Et, reine de l’ubiquité,
    Je le convulse et le hérisse
    Par mon invisibilité.

    Si le sommeil clot sa paupière,
    J’ordonne au cauchemar malsain
    D’aller s’accroupir sur son sein...

  • C’était un vieux penseur madré,
    Un voyant quelque peu lettré,
    Ayant en lui la double étoffe
    Du poète et du philosophe.

    Je fus le voir une journée
    Où la bise avait du mordant.
    Il chantonnait, la pipe aux dents,
    Faisant face à la cheminée.

    — « Quel froid de loup ! père Guillaume,
    Et que j’aspire au renouveau ! »
    — « Pas moi ! J’trouv...

  •  
    Puis-je te célébrer autant que je le dois,
    Cher interlocuteur au langage mystique ?
    Hier encor, le chagrin, ruisselant de mes doigts,
    T’arrachait un sanglot funèbre et sympathique.

    Sois fier d’être incompris de la vulgarité  !
    Beethoven a sur toi déchaîné sa folie,
    Et Chopin, cet Archange ivre d’étrangeté,
    T’a versé le trop-plein de sa...

  •  
    Quand l’uniformité m’écœure,
    Dans la rue ou dans la maison,
    Que de fois pour nuager l’heure
    Je savoure ton cher poison !

    Ô ma coupe de nicotine,
    Mon regard jubile en suivant
    Ta fumée errante et lutine
    Comme l’onde et comme le vent !

    Quel doux philtre dans ces bouffées
    Que j’aspire par ton cou noir !
    Seul avec toi, je vois...

  • Les marguerites de la haie
    Entourent, pleines de pitié,
    L’aspic que tronçonne à moitié
    Une sanglante et large plaie.

    Toutes, par ce soleil brûlant,
    Ont voulu lui venir en aide
    Et lui procurer le remède
    De leur petit ombrage blanc.

    Contre la mouche qui voltige,
    Chacune cherche à l’abriter,
    Tâchant de le réconforter
    Par la...

  • Dans la grande chênaie, à l’ombre du coteau,
    Je m’en vais en fumant, seul, à pas de tortue,
    Par la petite route âpre et si peu battue,
    Quand un pivert criard arrive d’un plateau.

    — Son long bec, lui servant de vrille et de couteau.
    Déloge les fourmis d’une branche tortue.
    Dans la grande chênaie, à l’ombre du coteau,
    Je m’en vais en fumant, seul, à pas...

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    Venus des quatre coins de l’horizon farouche,
    De la cime des pics et du fond des remous,
    Les aquilons rageurs sont d’invisibles fous
    Qui fouettent sans lanière et qui hurlent sans bouche.

    Les ruisseaux n’ont jamais que des bruits susurreurs
    Dans leur tout petit lit qui serpente et qui vague,
    Et l’on n’entend sortir qu’un murmure très vague
    Des...

  •  
    Elle téta la vie au sein d’une pauvresse.
    Dès le maillot, elle eut l’abominable ivresse
    D’un lait sanguinolent et presque vénéneux.
    L’air froid d’un gîte infect aux murs fuligineux
    Granula ses poumons en gelant sa poitrine ;
    À travers sa peau, mince et navrante vitrine,
    Sa mère put compter ses pauvres petits os.
    Elle a grandi pourtant :...