Retour aux Alpes

 
Ô mes Alpes, salut ! En vain l’arrêt du monde
M’interdit vos sommets au nom du cœur humain,
Et m’invite à la plaine et veut que je réponde
Aux voix des vils passants, aux bruits du grand chemin :

Moi, je retourne à vous, au désert mon vieux maître,
Dans ces bois où j’entends un écho du saint lieu,
Pour mieux connaître l’homme, et pour l’aimer peut-être,
J’ai besoin de m’asseoir seul à seul avec Dieu.

Là-haut, sous les sapins, sur ces blocs en ruines,
Un mystère, ô nature ! entre nous s’accomplit ;
Mes Alpes ! portez-moi vers les choses divines ;
Rien d’humain n’est absent d’un cœur que Dieu remplit.

Sitôt qu’en votre azur près de lui je m’élève,
Tout grandit dans mon âme et tout monte avec moi ;
Je cueille en vos sentiers, où l’on dit que je rêve,
Des fleurs pour mes amours, des clartés pour ma foi.

Ma Muse a pris chez vous sa parure et ses armes ;
Des vivantes couleurs vous m’ouvrez le trésor.
Là j’ai trouvé peut-être, au lieu de vaines larmes,
Un vers âpre et nerveux vêtu de fer et d’or.

Sans doute aux jours d’enfance où l'on gémit sans causes,
J’aimai trop vos déserts de l’amour d’un banni ;
J’ai trop oublié l’âme en embrassant les choses,
J’ai trop méprisé l’homme au nom de l’infini.

Mais la vie a pour moi peuplé vos solitudes
D’êtres chers et sacrés, de bonheurs sans remords,
J’y rencontre en fuyant les viles multitudes
Des âmes que j’y cherche et l’esprit des grands morts.

Mais que je vienne ici pour rêver ou pour vivre,
Ou seul, ou deux à deux dans un oubli profond,
C’est toujours l’infini, sur vos monts, qui m’enivre ;
C’est toujours Dieu qui parle et l’amour qui répond.

Puis, quand il faut descendre et lutter dans les plaines,
Là-bas, dans leurs cités, dont le sang teint les flots,
La Muse oublie, alors, vos lis, et sur vos chênes
Saisit, quand je le veux, massue et javelots.

Dites, ô blancs sommets, rochers qu’on croit stériles,
Bois sombres dont l’amour est mon heureux travers,
Que ne vous dois-je pas de tendresses viriles,
De fierté dans mon cœur, de sève dans mes vers ?

Par vous, j’aime à braver ce que mon siècle loue,
Et ses lâches grandeurs et ses plaisirs épais ;
J’appris de votre neige à mépriser leur boue,
J’apprends de leur tumulte à chérir votre paix.

Vous m’avez enseigné l’horreur des choses viles,
Des idoles qu’encense un vulgaire hébété ;
Vous dressez, pour ma foi qui se perd dans les villes,
Deux autels : l’un à Dieu, l’autre à la liberté.

C’est chez vous que l’on fuit pour y rompre ses chaînes,
Pour y porter ses deuils ou ses bonheurs cachés ;
Là qu’on abrite mieux ses amours et ses haines :
Les cygnes ont vos lacs, les aigles vos rochers.

Tout homme qui frémit sous quelque joug infâme,
Dans vos libres déserts échappe à ses tyrans :
De ces chastes hauteurs où vous portez mon âme
Coulent de froids dédains que je verse à torrents.

Je voudrais, n’en déplaise à des Muses banales,
Pareil, comme on l'a dit, à ces monts nébuleux,
Suspendre ainsi dans l’air des glaces virginales,
Armé de l’avalanche et des fleuves comme eux.

Sur cet impur amas d’esclaves, de parjures,
Ma haine descendrait, comme un déluge amer ;
J’aurais vengé l’honneur de tant d’âpres injures,
Et j’aurais balayé cette fange à la mer.

Vienne un dernier rayon rougir nos cimes blanches
Et fondre à flots ma neige à son brasier vermeil !
Et, pour lancer plus loin nos saintes avalanches,
Que la foudre nous frappe à défaut du soleil.

Collection: 
1832

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