Le Temps

Ode

I

Le Temps ne surprend pas le sage ;
Mais du Temps le sage se rit,
Car lui seul en connaît l'usage ;
Des plaisirs que Dieu nous offrit,
Il sait embellir l'existence ;
Il sait sourire à l'espérance,
Quand l'espérance lui sourit.

II

Le bonheur n'est pas dans la gloire,
Dans les fers dorés d'une cour,
Dans les transports de la victoire,
Mais dans la lyre et dans l'amour.
Choisissons une jeune amante,
Un luth qui lui plaise et l'enchante ;
Aimons et chantons tour à tour !

III

" Illusions ! vaines images ! "
Nous dirons les tristes leçons
De ces mortels prétendus sages
Sur qui l'âge étend ses glaçons ; "
" Le bonheur n'est point sur la terre,
Votre amour n'est qu'une chimère,
Votre lyre n'a que des sons ! "

IV

Ah ! préférons cette chimère
A leur froide moralité ;
Fuyons leur voix triste et sévère ;
Si le mal est réalité,
Et si le bonheur est un songe,
Fixons les yeux sur le mensonge,
Pour ne pas voir la vérité.

V

Aimons au printemps de la vie,
Afin que d'un noir repentir
L'automne ne soit point suivie ;
Ne cherchons pas dans l'avenir
Le bonheur que Dieu nous dispense ;
Quand nous n'aurons plus l'espérance,
Nous garderons le souvenir.

VI

Jouissons de ce temps rapide
Qui laisse après lui des remords,
Si l'amour, dont l'ardeur nous guide,
N'a d'aussi rapides transports :
Profitons de l'adolescence,
Car la coupe de l'existence
Ne pétille que sur ses bords !

(1824)

Collection: 
1832

More from Poet

  • Je pense à toi, Myrtho, divine enchanteresse,
    Au Pausilippe altier, de mille feux brillant,
    À ton front inondé des clartés de l'Orient,
    Aux raisins noirs mêlés avec l'or de ta tresse.

    C'est dans ta coupe aussi que j'avais bu l'ivresse,
    Et dans l'éclair furtif de...

  • Il était un roi de Thulé
    A qui son amante fidèle
    Légua, comme souvenir d'elle,
    Une coupe d'or ciselé.

    C'était un trésor plein de charmes
    Où son amour se conservait :
    A chaque fois qu'il y buvait
    Ses yeux se remplissaient de larmes.

    Voyant ses...

  • Tu demandes pourquoi j'ai tant de rage au coeur
    Et sur un col flexible une tête indomptée ;
    C'est que je suis issu de la race d'Antée,
    Je retourne les dards contre le dieu vainqueur.

    Oui, je suis de ceux-là qu'inspire le Vengeur,
    Il m'a marqué le front de sa lèvre...

  • "Ce roc voûté par art, chef-d'oeuvre d'un autre âge,
    Ce roc de Tarascon hébergeait autrefois
    Les géants descendus des montagnes de Foix,
    Dont tant d'os excessifs rendent sûr témoignage."

    O seigneur Du Bartas ! Je suis de ton lignage,
    Moi qui soude mon vers à ton...

  • Ces nobles d'autrefois dont parlent les romans,
    Ces preux à fronts de boeuf, à figures dantesques,
    Dont les corps charpentés d'ossements gigantesques
    Semblaient avoir au soi racine et fondements ;

    S'ils revenaient au monde, et qu'il leur prît l'idée
    De voir les...