La jalousie

Poètes, peintres parlants, que vous sert de nous feindre,
Peintres, poètes muets, que vous sert de nous peindre
Des feux, des fouets, des fers, des vaisseaux pleins de trous,
Des rages, des fureurs, des lieux épouvantables :
Pour exprimer l'horreur des enfers effroyables,
Est-il enfer semblable à celui des jaloux ?

L'aigle de Prométhée, les fouets des Euménides,
Les vaisseaux défoncés des folles Danaïdes,
D'Ixion abusé les roues et les clous,
Les peines de Tantal, de Sisyph, de Phlégie
Ne sont que jeux au prix de l'âpre jalousie,
Il n'est enfer semblable à celui des jaloux.

Si la nuit le jaloux tient sa femme embrassée,
Il croit tenant le corps qu'un autre a sa pensée ;
Fût-elle à prier Dieu dans l'église à genoux,
Si du temps qu'il lui donne elle passe les bornes,
Ce Vulcain pense avoir le front tout plein de cornes
Et se plonge insensé dans l'enfer des jaloux.

Une rare beauté, un accoutrement brave,
Une charmante voix, une démarche grave,
Un oeil rempli d'attraits, un sourire trop doux,
Une gaillarde humeur, une larme aperçue,
Un doux accord de luth, une oeillade conçue,
Sont les plus grands tourments de l'enfer des jaloux.

Ils sont pâles, chagrins, songeards, mélancoliques,
Noisifs, capricieux, maussades, fantastiques,
Difficiles, hargneux, sauvages, loups-garous,
L'esprit toujours porté à quelque horrible songe,
Un vautour sans cesser les entrailles leur ronge,
Bref, il n'est tel enfer que celui des jaloux.

Donc vieillards refroidis, cherchez quelques Médées
Pour faire rajeunir vos vieillesses ridées,
Et au tripot d'amour mieux assener vos coups,
Ou bien, dagues de plomb, votre horoscope preuve
Que vous serez bientôt des cocus à l'épreuve
Et que vous entrerez dans l'enfer des jaloux.

Et vous cabas moisis, vieilles tapissières,
Tétins mous, fronds ridés, culs plats, fesses flétries,
Yeux pleureux, cheveux gras, pourquoi épousez-vous
Ces volages poulains qu'un jeune amour enflamme ?
Vous n'êtes que de glace, ils ne sont que de flamme.
Entrez, vieilles, entrez dans l'enfer des jaloux.

Collection: 
1600

More from Poet

  • Un oeil de chat-huant, des cheveux serpentins,
    Une trogne rustique à prendre des copies,
    Un nez qui au mois d'août distille les roupies,
    Un ris sardonien à charmer les lutins,

    Une bouche en triangle, où comme à ces mâtins
    Hors oeuvre on voit pousser de longues...

  • [?] Qu'est-ce donc de la vie où l'homme se plaît tant ?
    Ce n'est ,qu'une fumée ou qu'un ombre inconstant,
    Une frêle vapeur, à l'instant consumée,
    Un songe fabuleux, qui passe en un moment.
    Quel fol est donc celui qui chérit tellement
    Un songe, une vapeur, un ombre,...

  • Ma belle un jour dessus son lit j'approche
    Qui me baisant là sous moi frétillait
    Et de ses bras mon col entortillait
    Comme un Lierre une penchante Roche.

    Au fort de l'aise et la pâmoison proche
    Il me sembla que son oeil se fermait,
    Qu'elle était froide et qu'...

  • Poètes, peintres parlants, que vous sert de nous feindre,
    Peintres, poètes muets, que vous sert de nous peindre
    Des feux, des fouets, des fers, des vaisseaux pleins de trous,
    Des rages, des fureurs, des lieux épouvantables :
    Pour exprimer l'horreur des enfers effroyables...