Voilà que je me sens...

Voilà que je me sens plus proche encor des choses.
Je sais quel long travail tient l'ovaire des roses,
Comment la sauterelle au creux des rochers bleus
Appelle le soleil pour caresser ses neufs
Et pourquoi l'araignée, en exprimant sa moelle,
Protège ses petits d'un boursicot de toile.
Je sais quels yeux la biche arrête sur son faon,
Tellement notre esprit s'éclaire avec l'enfant ;
Je sais quels orgueils fous se cramponnent aux ventres,
Dans les nids, les sillons, les océans, les antres,
Quels sourds enfantements déchirent les terrains,
Quelles clameurs de sang s'élèvent des ravins.
Nous avons le regard des chattes en gésine
Quand le flux maternel nous gonfle la poitrine,
Quand l'embryon mutin bouge dans son étui
Comme un nouveau soleil sur qui pèse la nuit.
Nos seins lourds et féconds comme la grappe mûre
Offrent leur doux breuvage à toute la nature
Et notre obscur penchant voudrait verser son lait
À l'abeille, à la fleur, au ver, à l'agnelet.
Plaine grosse de sève et d'ardeurs printanières,
Écume salivant le désir des rivières,
Prunier croulant de miel, pesantes fenaisons,
Geste courbe et puissant des vertes frondaisons,
J'épouse la santé de votre âme charnelle
À présent que je vais forte comme Cybèle,
Que je suis le figuier qui pousse ses figons,
Qu'ayant connu l'essor hésitant du bourgeon
Et déployé la fleur où la guêpe vient boire,
Je m'achemine au fruit dans l'ampleur de sa gloire.
Le monde n'a plus rien de trop profond pour moi,
J'ai démêlé le sens des heures et des mois,
Et ma main qui s'arrête aux fentes des murailles
Sent dans le flanc du roc palpiter des entrailles.
Je n'aurais pas voulu, desséchant sur mon pied,
Être l'arbre stérile au tronc atrophié
Où l'abeille maçonne aurait creusé sa chambre,
Où quelque cep noueux gonflant sa grappe d'ambre
Aurait mis sur ma branche un air pâlot d'été
Sans que je participe à sa divinité.
Comme la riche nuit entre ses légers voiles
Voit dans son tablier affluer les étoiles,
Comme le long ruisseau abondant de poissons,
Je brasse en épis drus les humaines moissons.
Hommes, vous êtes tous mes fils, hommes, vous êtes
La chair que j'ai pétrie autour de vos squelettes.
Je sais les plis secrets de vos coeurs, votre front
Cherche pour y dormir mon auguste giron,
Et ma main pour flatter vos douleurs éternelles
Contient tous les nectars des sources maternelles.

Collection: 
1905

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Pourquoi crains-tu, fille farouche
De me voir nue entre les fleurs ?
Mets une rose sur ta bouche
Et ris avec moins de rougeur.
Ne sais-tu pas comme ta robe
Est transparente autour de toi
Et que d'un clair regard je vois
Ta sveltesse qui se dérobe ?...

Jusqu'au ciel d'azur gris le pré léger s'élève
Comme une route fraîche inconnue aux vivants ;
La mouillure de l'herbe et de la jeune sève

Répand dans l'air rêveur son haleine d'argent.
Sur les bords de ce pré le bouleau se balance
Avec le merisier profond dans ses...

Mais je suis belle d'être aimée,
Vous m'avez donné la beauté,
Jamais ma robe parfumée
Sur la feuille ainsi n'a chanté,
Jamais mon pas n'eut cette grâce
Et mes yeux ces tendres moiteurs
Qui laissent les hommes rêveurs
Et les fleurs même, quand je passe....

Beauté, dans ce vallon étends-toi blanche et nue
Et que ta chevelure alentour répandue
S'allonge sur la mousse en onduleux rameaux ;
Que l'immatérielle et pure voix de l'eau,
Mêlée au bruit léger de la brise qui pleure,
Module doucement ta plainte intérieure.
...

Je suis née au milieu du jour,
La chair tremblante et l'âme pure,
Mais ni l'homme ni la nature
N'ont entendu mon chant d'amour.

Depuis, je marche solitaire,
Pareille à ce ruisseau qui fuit
Rêveusement dans les fougères
Et mon coeur s'éloigne sans bruit...