Chanson d'après-midi

Quoique tes sourcils méchants
Te donnent un air étrange
Qui n'est pas celui d'un ange,
Sorcière aux yeux alléchants,

Je t'adore, ô ma frivole,
Ma terrible passion !
Avec la dévotion
Du prêtre pour son idole.

Le désert et la forêt
Embaument tes tresses rudes,
Ta tête a les attitudes
De l'énigme et du secret.

Sur ta chair le parfum rôde
Comme autour d'un encensoir ;
Tu charmes comme le soir,
Nymphe ténébreuse et chaude.

Ah ! les philtres les plus forts
Ne valent pas ta paresse,
Et tu connais la caresse
Qui fait revivre les morts !

Tes hanches sont amoureuses
De ton dos et de tes seins,
Et tu ravis les coussins
Par tes poses langoureuses.

Quelquefois, pour apaiser
Ta rage mystérieuse,
Tu prodigues, sérieuse,
La morsure et le baiser ;

Tu me déchires, ma brune,
Avec un rire moqueur,
Et puis tu mets sur mon coeur
Ton oeil doux comme la lune.

Sous tes souliers de satin,
Sous tes charmants pieds de soie,
Moi, je mets ma grande joie,
Mon génie et mon destin,

Mon âme par toi guérie,
Par toi, lumière et couleur !
Explosion de chaleur
Dans ma noire Sibérie !

Collection: 
1844

More from Poet

  • Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
    Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
    Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
    Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

    Pendant que des mortels la multitude vile,
    Sous le fouet du Plaisir, ce...

  • Les amants des prostituées
    Sont heureux, dispos et repus ;
    Quant à moi, mes bras sont rompus
    Pour avoir étreint des nuées.

    C'est grâce aux astres nonpareils,
    Qui tout au fond du ciel flamboient,
    Que mes yeux consumés ne voient
    Que des souvenirs de...

  • Vous pouvez mépriser les yeux les plus célèbres,
    Beaux yeux de mon enfant, par où filtre et s'enfuit
    Je ne sais quoi de bon, de doux comme la Nuit !
    Beaux yeux, versez sur moi vos charmantes ténèbres !

    Grands yeux de mon enfant, arcanes adorés,
    Vous ressemblez...

  • Que j'aime voir, chère indolente,
    De ton corps si beau,
    Comme une étoffe vacillante,
    Miroiter la peau !

    Sur ta chevelure profonde
    Aux âcres parfums,
    Mer odorante et vagabonde
    Aux flots bleus et bruns,

    Comme un navire qui s'éveille
    Au vent...

  • De ce ciel bizarre et livide,
    Tourmenté comme ton destin,
    Quels pensers dans ton âme vide
    Descendent ? Réponds, libertin.

    - Insatiablement avide
    De l'obscur et de l'incertain,
    Je ne geindrai pas comme Ovide
    Chassé du paradis latin.

    Cieux déchirés...