De l'absence de s'amie

Après que sur le bord du Rhône,
Et que sur celui de la Saône
J'ai plaint longuement ma douleur,
Je viens aux rivages d'Isère,
Rempli d'amoureuse chaleur,
Lamenter ma vieille misère
S'empirant d'un nouveau malheur.

Car plus en moi-même je pense
D'amoindrir mon mal par l'absence,
Ou par l'éloignement des lieux,
Et plus il croit dedans mon âme,
Pour ne voir plus les deux beaux yeux,
Ni les beaux cheveux de ma dame,
Qui peuvent captiver les Dieux.

L'amour me fait haïr moi-même,
Le bien me fait un mal extrême,
Et le feu trop chaud me pâlit,
Le repos, hélas ! me travaille,
Le veiller m'est somme, et le lit
M'est un camp de dure bataille,
Où vivant on m'ensevelit.

Le pleurer me plaît, et le rire
M'apprête un contraire martyre,
Le repos m'est venin et fiel,
Au lieu de paix j'ai toujours guerre,
Je vois sans yeux, et vole au ciel
Sans jamais départir de terre,
Où jeune je semble être vieil.

J'espère et crains d'un seul courage,
Mon profit m'apporte dommage,
Et le jour le plus serein qui luit
Ne m'est que ténèbre mortelle,
Bref, j'ai sans fin soit jour ou nuit
D'un vieil désir peine nouvelle,
En suivant celle qui me fuit.

Ô beaux yeux bruns de ma maîtresse,
Ô bouche, ô front, sourcil, et tresse,
Ô ris, ô port, ô chant et voix,
Et vous, ô grâces que j'adore!
Pourrai-je bien quelque autrefois
Vous voir et vous ouïr encore
Comme je fis en l'autre mois ?

Rivages, monts, arbres et plaines,
Rivières, rochers et fontaines,
Antres, forêts, herbes et prés,
Voisins du séjour de la belle,
Et vous petits jardins secrets,
Je me meurs pour l'absence d'elle,
Et vous vous égayez auprès.

Collection: 
1546

More from Poet

  • Sur le bord d'un beau fleuve Amour avoit tendu
    Un filé d'or tissu d'un excellent ouvraige,
    Et là tout seul assis il sembloit qu'au passage
    Il eust quelque gibier longuement attendu.
    J'estoy franc et dispost, mais trop mal entendu,
    Et mon c?ur s'égayoit, mal cault...

  • Je cherche paix, et ne trouve que guerre,
    Ores j'ay peur, ores je ne crains rien,
    Tantost du mal et tantost j'ay du bien,
    Je vole au ciel et ne bouge de terre.

    Au cueur doubteux l'espérance j'enserre,
    Puis tout à coup je luy romps le lyen,
    Je suis à moy et ne...

  • Tandis que je me promeine
    Parmy cette belle pleine,
    Et qu'en resvant je m'en vois
    Promener parmy ces bois,
    Je sens mon couler dans mon âme
    Un souvenir de ma Dame,
    Qui me faict aussi soubdain
    Faire un tel souhait en vain.

    Pleust au dieu par qui j'...

  • Ce n'est pas moy qui sçait d'une voix feinte,
    Ou d'un semblant traitrement deguisé,
    Feindre mon cueur d'un amour embrasé,
    Pour à tous vents la flamme en estre esteinte.
    Autre'que moy d'une menteuse plainte
    Aura l'honneur des dames abusé,
    Car sois-je pris, ou...

  • Bienheureux est celuy, qui loing de la cité
    Vit librement aux champs dans son propre heritage,
    Et qui conduyt en paix le train de son mesnage,
    Sans rechercher plus loing autre felicité.
    Il ne sçait que veult dire avoir necessité,
    Et n'a point d'autre soing que de...