Waterloo

 
Pleure, Napoléon, ton pouvoir expirant,
Sous d’indignes revers ta gloire est étouffée ;
Qu’en est-il revenu, de ton pompeux trophée ? —
Le char brisé du conquérant !

L’étranger va fouler ta dépouille mortelle,
Tes amis d’autrefois viennent de te trahir ;
Tu tombes : et déjà sur leurs lèvres cruelles,
Un sourire de sang vient de s’épanouir.

C’est en vain qu’au Destin tu résistes encore,
Ta grandeur a passé comme un vain météore,
Comme un son qui dans l’air a long-temps éclaté : —
Peut-être que ce bruit d’une puissance humaine
À frappé les échos de la rive lointaine
Mais les vents ont tout emporté !

Qu’entends-tu dans les camps ? C’est le bronze qui tonne :
Mais ton oreille est faite à ce bruit monotone ;
« Je crains peu, disais-tu du haut de ton pouvoir,
« Ces rois paralysés cherchant à se mouvoir,
« Esclaves révoltés, que mon regard farouche,
« Qu’un signe de ma main, ou qu’un mot de ma bouche
« Fera rentrer dans le devoir. »

Quand tu vis ce torrent, grossi par la tempête,
Si long-temps refoulé, refluer sur ta tête,
Le dépit éclata dans ton œil irrité :
Arrête ! as-tu crié : Mais toujours il s’avance ;
Hélas ! ange déchu, pour toi plus d’espérance,
Il est vrai que d’un Dieu tu gardes la fierté
Mais tu n’en as plus la puissance.

Nos guerriers, où sont-ils ? O tableaux déchirans !
Les voilà, renversés sur la terre flétrie,
Sanglans, criblés de coups, abattus, expirans……
Mais expirans pour la patrie !

Adieu notre avenir, nos succès, notre orgueil !
Waterlô, Mont-Saint-Jean, nos légions mourantes
Ont jeté leurs débris dans vos plaines sanglantes ;
Pourtant aucuns tombeaux élevés par le deuil,

 

N’y protègent leurs os, que le vent des montagnes
Enlève dans sa course, et rejette aux campagnes ;
Ils n’ont pas revêtu le funèbre linceul.
Quoi, ces fiers conquérans, que la mort seule arrête,
Ces preux, qui de l’Europe avaient fait la conquête,
N’ont pu conquérir un cercueil !…

Un cercueil, des flambeaux, et des chants funéraires,
Gardez cet appareil pour les mortels vulgaires ;
Aux pompes des humains ils ne demandent rien....
Mais la postérité gardera leur mémoire,
Et les échos des temps promèneront leur gloire
Dans les climats les plus lointains.

Portons, portons encor les yeux sur cette plaine,
Admirons cette ardeur, ce noble empressement
De courir, de voler vers une mort certaine :
Arrêtez !.... Mais l’honneur à la mort les enchaîne,
Tous, d’un commun accord, ont juré noblement
De vaincre ou de mourir pour la cause commune ;
Ils n’ont pu triompher de l’ingrate fortune,....
Et le trépas acquitte leur serment !

Ecoutez les foudres brûlantes,
De tant de peuples assemblés ;
Voyez, dans ces plaines sanglantes,

Nos preux, sous le nombre accablés :
Admirez-les ; leur troupe altière
Combat contre l’Europe entière,
Contre les destins irrités :
Gloire au Dieu qui leur donna l’être,
Gloire au pays qui les vit naître,
Gloire aux seins qui les ont portés !

Tandis que les races mortelles
S’engloutissant dans l’avenir,
Passent aux ombres éternelles,
Sans laisser même un souvenir ;
Leur gloire, sans cesse croissante,
Luira, toujours plus imposante,
Aux yeux de la postérité.
O fortune digne d’envie !
L’avenir, au prix de leur vie,
Leur donne l’immortalité !

On croit entendre encor ce cri mâle et sublime,
Cette voix de leurs cœurs, cet accent unanime,
Que nos preux répétaient en volant au trépas :
Quand, tout couverts de sang, et lassés d’en répandre,
Les ennemis surpris, les pressaient de se rendre :
« La garde, ont-ils crié, meurt et ne se rend pas ! »

Ce cri, que répétaient nos guerriers intrépides,
Couvrit d’abord le bruit des foudres homicides,
Mais bientôt il expire en murmure confus ;
C’est le dernier éclat d’un feu qui s’évapore,
Le dernier tintement d’un son sublime encore,
Que bientôt on n’entendra plus !

Le son s’éteint et meurt ; mais l’écho s’en empare,
Et le porte aux autres échos ;
Il annonce partout que le destin barbare
Dans la nuit ou cercueil a plongé nos héros :
On pleure, on gémit, on soupire,
Le deuil plane sur les Français ;
Et l’étranger lui-même admire,
Et rougit un moment de son lâche succès.

Ils sont morts ! Les voilà ! Sur leurs yeux intrépides,
Un tranquille sommeil a semblé s’épancher,
Le calme règne encor sur leurs faces livides :
Qu’avaient-ils à se reprocher ?
Le soin d’une juste défense
Avait pu seul armer leurs bras,
C’est pour leur chef, c’est pour la France,
Qu’ils avaient reçu le trépas ;

Leur gloire n’était point flétrie,
Ils expiraient dans leurs foyers,
Et la terre de la patrie
Ensevelissait ses guerriers.

L’esprit qu’effraie un tel carnage,
Se plonge avec horreur dans ce champ de la mort,
Il ne voit que sujets d’admirer leur courage,
Et de gémir des coups du sort.
Chaque sillon qui s’entr’ouvre
Aux regards offre et découvre
Les restes froids des héros :
Un pompeux monument ne charge pas leurs os,
Mais chacun d’eux, mourant sur ce sol funéraire.
D’un amas d’ennemis eut soin de le couvrir :
C’est dans cette couche guerrière
Qu’il rendit le dernier soupir.

Collection: 
1826

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