I
LâAME
Dans cet air sombre et lourd qui pèse sur nos villes ;
Jâai peine à soulever le fardeau de mon corps ;
Courbé sous les douleurs et les travaux serviles,
Quand jâaspire à monter, je tombe et je mâendors.
Jâentrevois du chemin, en marchant sur la boue,
Le grand mont qui se dore au soleil printanier ;
Une chaîne éternelle, et quâen vain je secoue,
Loin des sommets en fleurs me retient prisonnier.
Pour fuir ce sol impur et lâodeur de nos tombes,
Pour mâapprocher du ciel et goûter les beaux jours,
Ah ! que nâai-je un instant les ailes des colombes
Qui volent sur nos toits en chantant leurs amours !
II
LES AIGLES
Nous montons si haut dans lâespace,
Nous planons dans un ciel si pur,
Que la terre à nos pieds sâefface
Comme un rocher noir dans lâazur.
Dans la sphère où le jour sâallume,
Nous allons baigner notre plume ;
La lumière est notre élément ;
En vain lâaurore en feu ruisselle,
Nous nâavons jamais devant elle
Baissé nos yeux de diamant.
Eh bien, nous te cédons lâempire !
Nous nâavons pu suivre ton cÅur,
Ni respirer lâair quâil respire
Dans son vol sublime et vainqueur.
Hier, nous, les porteurs de la foudre,
Tâavons vu là -bas dans la poudre,
Sous les barreaux dâune prison ,
Homme ! Et voilà que ta pensée,
Malgré les fers sâest élancée
Et nous dépasse à lâhorizon.
Va donc, plus libre et plus rapide
Que lâoiseau roi sur les sommets,
Jusquâau monde où lâesprit te guide
Nos ailes nâatteindront jamais ;
Nos yeux, que nul soleil ne lasse,
Ne sauraient regarder en face
Cet astre inconnu qui te luit ;
Nous avons lutté contre lââme !
Elle monte encor dans la flamme ;
Lâaigle est repoussé dans la nuit.