à mon Seigneur Christus ! hors du monde charnel
Vous mâavez envoyé vers les neuf maisons noires :
Je me suis enfoncé dans les antres de Hel.
Dans la nuit sans aurore où grincent les mâchoires,
Quand jây songe, la peur aux entrailles me mord !
Jâai vu lâéternité des maux expiatoires.
Me voici revenu, tout blême, comme un mort.
Seigneur Dieu, prenez-moi, par grâce, en votre garde.
Et si je fais le mal, donnez-mâen le remord.
Le prince des Brasiers est là qui me regarde,
Vêtu de flamme bleue et rouge. Il est assis
Dans le palais infect qui suinte et se lézarde.
Il siège en la grandâsalle aux murs visqueux, noircis,
Où filtre goutte à goutte une bave qui fume,
Et dâoù tombent des nÅuds de reptiles moisis.
Au-dessus du Malin, sur qui pleut cette écume,
Tournoie, avec un haut vacarme, un Dragon roux
Qui bat de lâenvergure au travers de la brume.
En bas, gît le marais des Lâches, des Jaloux,
Des Hypocrites vils, des Fourbes, des Parjures.
Ils grouillent dans la boue et creusent des remous,
Ils geignent, bossués de pustules impures.
Serait-ce là , Seigneur, leur expiation,
Dâêtre un vomissement en ce lieu de souillures ?
Sur des quartiers de roc toujours en fusion,
Muets, sont accoudés les sept Convives mornes,
Les sept Diables royaux du vieux Septentrion.
Ainsi que les héros buvaient à pleines cornes
Lâhydromel prodigué pour le festin guerrier,
Quand les Skaldes chantaient sur la harpe des Nornes ;
Les sept Démons quâenfin vous vîntes châtier,
En des cruches de plomb qui corrodent leurs bouches,
Puisent des pleurs bouillants au fond dâun noir cuvier.
Auprès, les bras roidis, les yeux caves et louches,
Broyant dâépais cailloux sous des meules dâairain,
Tournent en haletant les trois Vierges farouches.
Leur cÅur pend au dehors et saigne de chagrin,
Tant leurs labeurs sont durs et leurs peines ingrates
Car nul ne peut manger la farine du grain.
Autour dâelles, pourtant, courent à quatre pattes
Les Avares, aux reins de maigreur écorchés,
Tels que des loups tirant des langues écarlates.
Puis, sur des lits de pourpre ardente, sont couchés,
Non plus ivres enfin de leurs voluptés vaines,
Les Languissants, au joug de la chair attachés.
Leurs fronts sont couronnés de flambantes verveines ;
Mais tandis que leur couche échauffe et cuit leurs flancs,
Lâamer et froid dégoût coagule leurs veines.
Voici ceux qui tuaient jadis, les Violents,
Les Féroces, blottis au creux de quelque gorge,
Qui, la nuit, guettaient lâhomme et se ruaient hurlants.
Maintenant, lâun sâendort ; lâautre en sursaut lâégorge.
Le misérable râle, et le sang, par jets prompts,
Sort, comme du tonneau le jus mousseux de lâorge.
Et ceux qui, sur lâautel où nous vous adorons,
Ont déchiré la nappe et bu dans vos calices
Et sur vos serviteurs fait pleuvoir les affronts
Qui nous ont enterrés, vivants, dans nos cilices,
Qui de la sainte étole ont serré notre cou,
Pour ceux-là le Malin épuise les supplices.
Enfin, je vois le Peuple antique, aveugle et fou,
La race qui vécut avant votre lumière,
Seigneur ! et qui marchait, hélas ! sans savoir où.
Tels quâun long tourbillon de vivante poussière
Le même vent dâerreur les remue au hasard,
Et le soleil du Diable éblouit leur paupière.
Or, vous nous avez fait, certes, la bonne part,
A nous qui gémissons sur cette terre inique ;
Mais pour les anciens morts vous êtes venu tard !
Donc, chacun porte au front une lettre Runique
Qui change sa cervelle en un charbon fumant,
Car il nâa point connu la loi du Fils unique !
Ainsi, gêne sur gêne et tourment sur tourment,
Carcans de braise, habits de feu, fourches de flammes,
Tout cela, tout cela dure éternellement.
Dans les antres de Hel, dans les cercles infâmes,
Voilà ce que jâai vu par votre volonté,
à sanglant Rédempteur de nos mauvaises âmes !
Souvenez-vous de Snorr dans votre éternité !