Puisque tout n’est rien que fables,
Hormis d’aimer ton désir,
Jouis vite du loisir
Que te font des dieux affables.
Puisqu’à ce point se trouva
Facile ta destinée,
Puisque vers toi ramenée
L’Arcadie est proche, — va !
Va ! le vin dans les feuillages
Fait éclater les beaux yeux
Et battre les cœurs joyeux
À l’étroit sous les corsages…
À l’exemple de la cigale nous avons
Chanté…
Si nous allions danser ?
Nous vous suivons !
Restons.
J’aime la danse à m’en jeter par la fenêtre,
Et si je ne vais pas sur l’herbette avec eux,
C’est bien pour vous !
Paix là ! Que vous êtes fougueux !
Parlez-moi.
Du passé ? Cela vous ennuierait, et pour cause.
Du présent ? À quoi bon, puisque nous y voilà ?
De l’avenir ? Laissons en paix ces choses-là !
Parlez-moi du passé.
Pourquoi ?
Et fiez-vous à la mémoire adulatrice
Qui va teinter d’azur les plus mornes jadis
Et masque les enfers anciens en paradis.
Soit donc ! J’évoquerai, ma chère, pour vous plaire,
Ce morne amour qui fut, hélas ! notre chimère,
Regrets sans fin, ennuis profonds, poignants remords,
Et toute la tristesse atroce des jours morts ;
Je dirai nos plus beaux espoirs déçus sans cesse,
Ces deux cœurs dévoués jusques à la bassesse
Et soumis l’un à l’autre, et puis, finalement,
Pour toute récompense et tout remerciement,
Navrés, martyrisés, bafoués l’un par l’autre,
Ma folle jalousie étreinte par la vôtre,
Vos soupçons complétant l’horreur de mes soupçons,
Toutes vos trahisons, toutes mes trahisons !
Oui, puisque ce passé vous flatte et vous agrée,
Ce passé que je lis tracé comme à la craie
Sur le mur ténébreux du souvenir, je veux,
Ce passé tout entier, avec ses désaveux
Et ses explosions de pleurs et de colère,
Vous le redire, afin, ma chère, de vous plaire !
Savez-vous que je vous trouve admirable, ainsi
Plein d’indignation élégante ?
Merci !
Vous vous exagérez aussi par trop les choses.
Quoi ! pour un peu d’ennui, quelques heures moroses,
Vous lamenter avec ce courroux enfantin !
Moi, je rends grâce au dieu qui me fit ce destin
D’avoir aimé, d’aimer l’ingrat, d’aimer encore
L’ingrat qui tient de sots discours, et qui m’adore
Toujours, ainsi qu’il sied d’ailleurs en ce pays
De Tendre. Oui ! Car malgré vos regards ébahis
Et vos bras de poupée inerte, je suis sûre
Que vous gardez toujours ouverte la blessure
Faite par ces yeux-ci, boudeur, à ce cœur-là.
Pourtant le jour où cet amour m’ensorcela
Vous fut autant qu’à moi funeste, mon amie.
Croyez-moi, réveiller la tendresse endormie,
C’est téméraire, et mieux vaudrait pieusement
Respecter jusqu’au bout son assoupissement
Qui ne peut que finir par la mort naturelle.
Fou ! par quoi pouvons-nous vivre, sinon par elle ?
Alors, mourons !
Quant à moi, vos aigreurs, vos fureurs, vos mépris,
Qui ne sont, je le sais, qu’un dépit éphémère,
Et cet orgueil qui rend votre parole amère,
J’en veux faire litière à mon amour têtu,
Et je vous aimerai quand même, m’entends-tu ?
Vous êtes mutinée…
Allons, laissez-vous faire !
Donc, il le faut !
De l’amour renaissant timide après l’hiver.
Quittez ce front chagrin, souriez comme hier
À ma tendresse entière et grande, encor qu’ancienne !
Ah ! toujours tu m’auras mené, magicienne !
SCÈNE IV
SYLVANDRE, CHLORIS
Non !
Si !
Je ne veux pas…
Dites : je ne veux plus !
Mais voici, j’ai fixé vos vœux irrésolus
Et le milan affreux tient la pauvre hirondelle.
Fi ! l’action vilaine ! Au moins rougissez d’elle !
Mais non ! Il rit, il rit !
Ah, oh, hi, que c’est mal !
Tarare ! mais le seul état vraiment normal,
C’est le nôtre, c’est, fous l’un de l’autre, gais, libres,
Jeunes, et méprisant tous autres équilibres
Quelconques, qui ne sont que cloche-pieds piteux,
D’avoir deux cœurs pour un, et, chère âme, un pour deux !
Que voilà donc, monsieur l’amant, de beau langage !
Vous êtes procureur ou poète, je gage,
Pour ainsi discourir, sans rire, obscurément.
Vous vous moquez avec un babil très charmant,
Et me voici deux fois épris de ma conquête :
Tant d’éclat en vos yeux jolis, et dans la tête
Tant d’esprit ! Du plus fin encore, s’il vous plaît.
Et si je vous trouvais par hasard bête et laid,
Fier conquérant fictif, grand vainqueur en peinture ?
Alors, n’eussiez-vous pas arrêté l’aventure
De tantôt, qui semblait exclure tout dégoût
Conçu par vous, à mon détriment, après tout ?
Ô la fatuité des hommes qu’on n’évince
Pas sur-le-champ ! Allez, allez, la preuve est mince
Que vous invoquez là d’un penchant présumé
De mon cœur pour le vôtre, aspirant bien-aimé.
— Au fait, chacun de nous vainement déblatère
Et, tenez, je vais dire mon caractère,
Pour qu’étant à la fin bien au courant de moi
Si vous souffrez, du moins vous connaissiez pourquoi,
Sachez donc…
Si j’exige…
Qui vous parle est coquette et folle. Oui, je le suis.
J’aime les jours légers et les frivoles nuits ;
J’aime un ruban qui m’aille, un amant qui me plaise,
Pour les bien détester après tout à mon aise.
Vous, par exemple, vous, monsieur, que je n’ai pas
Naguère tout à fait traité de haut en bas,
Me dussiez-vous tenir pour la pire pécore,
Eh bien, je ne sais pas si je vous souffre encore !
Dans le doute…
« Abstiens-toi », dit l’autre. Je m’abstiens.
Ah ! c’en est trop, je souffre et je m’en vais pleurer.
Enfant, mais souviens-toi que je suis infidèle
Souvent, ou bien plutôt, capricieuse. Telle
Il faut me prendre. Et puis, voyez-vous, nous voici
Tous deux bien amoureux, — car je vous aime aussi, —
Là ! voilà le grand mot lâché ! Mais…
Réticence !
Mais, dirais-je, malgré tous nos transports et tous
Nos serments mutuels, solennels, et jaloux
D’être éternels, un dieu malicieux préside
Aux autels de Paphos —
Telle est la loi qu’Amour à nos cœurs révéla.
L’on n’a pas plutôt dit ceci qu’on fait cela.
Plus tard on se repent, c’est vrai, mais le parjure
A des ailes, et comme il perdrait sa gageure
Celui qui poursuivrait un mensonge envolé !
Qu’y faire ? Promener son souci désolé,
Bras ballants, yeux rougis, la tête décoiffée,
À travers monts et vaux, ainsi qu’un autre Orphée,
Gonfler l’air de soupirs et l’océan de pleurs
Par l’indiscrétion de bavardes douleurs ?
Non, cent fois non ! Plutôt aimer à l’aventure
Et ne demander pas l’impossible à Nature !
Nous voici, venez-vous de dire, bien épris
L’un de l’autre, soyons heureux, faisons mépris
De tout ce qui n’est pas notre douce folie !
Deux cœurs pour un, un cœur pour deux… je m’y rallie,
Me voici vôtre, tienne !… Êtes-vous rassuré ?
Tout à l’heure j’avais mille fois tort, c’est vrai,
D’ainsi bouder un cœur offert de bonne grâce,
Et c’est moi qui reviens à vous, de guerre lasse.
Donc aimons-nous. Prenez mon cœur avec ma main,
Mais, pour Dieu, n’allons pas songer au lendemain,
Et si ce lendemain doit ne pas être aimable,
Sachons que tout bonheur repose sur le sable,
Qu’en amour il n’est pas de malhonnêtes gens,
Et surtout soyons-nous l’un à l’autre indulgents.
Cela vous plaît ?
Cela me plairait si…
SCÈNE V
Les Précédents, MYRTIL
A raison. Son discours serait l’épithalame
Que j’eusse proféré si…
C’est un de trop.
Que vous.
Et vous, Monsieur ?
La vérité m’oblige…
Et quoi, monsieur, déjà si tiède !
Qu’il vous faut, ô Chloris. c’est moi…
SCÈNE VI
Les Précédents, ROSALINDE
Alors, puisqu’il le faut décidément, depuis
Tous ces étonnements où notre cœur se joue,
À votre chariot la cinquième roue.
Je vous rends vos serments anciens et les nouveaux
Et les récents, les vrais aussi bien que les faux.
Chère !
Car me voici l’amie intime de Sylvandre.
Ô doux Charybde après un aimable Scylla !
Mais celle-ci va faire ainsi que celle-là
Sans doute, et toutes deux, adorables coquettes
Dont les caprices sont bel et bien des raquettes,
Joueront avec mon cœur, je le crains, au volant.
Fat !
Ingrat !
Insolent !
Ami cher, mes griefs sont au moins réciproques,
Et, s’il est vrai que nous te vexions, tu nous choques.
Mesdames, je suis votre esclave à toutes deux,
Mais mon cœur qui se cabre aux chemins hasardeux
Est un méchant cheval réfractaire à la bride,
Qui devant tout péril connu s’enfuit, rapide,
À tous crins, s’allât-il rompre le col plus loin.
Or, donc, si vous avez, Rosalinde, besoin
Pour un voyage au bleu pays des fantaisies
D’un franc coursier, gourmand de provendes choisies
Et quelque peu fringant, mais jamais rebuté,
Chevauchez à loisir ma bonne volonté.
La déclaration est un tant soit peu roide.
Mais, bah ! chat échaudé craint l’eau, fût-elle froide,
N’est-ce pas, Rosalinde, et vous le savez bien
Que ce chat-là surtout, c’est moi.
Je ne sais rien.
Et puisqu’en ce conflit où chacun se rebiffe
Chloris aussi veut bien m’avoir pour hippogriffe
De ses rêves devers la lune ou bien ailleurs,
Me voici tout bridé, couvert d’ailleurs de fleurs
Charmantes aux odeurs puissantes et divines
Dont je sentirai tôt ou tard les épines,
Madame, n’est-ce pas ?
Adieu, Sylvandre !
Adieu, Myrtil !
Est-ce à jamais ?
C’est pour toujours !
Adieu, Myrtil !
Adieu, Sylvandre !
.
SCÈNE VII
MYRTIL, CHLORIS
C’est donc que vous avez de l’amour à revendre
Pour, le joug d’une amante irritée écarté,
Vous tourner aussitôt vers ma faible beauté ?
Croyez-vous qu’elle soit à ce point offensée ?
Qui ? ma beauté ?
Non !… L’autre…
Bien autre part, je vous l’avoue, et m’attendais
À quelque madrigal un peu compliqué, mais
Sans doute vous voulez parler de Rosalinde
Et du courroux auquel son cœur crispé se guinde…
N’en doutez pas, elle est vexée horriblement.
En êtes-vous bien sûre ?
Tout récemment élu, sur sa chaude supplique
Encore ! et dans un tel concours mélancolique
Malgré qu’un tant soit peu plaisant d’événements,
Ne pouvez-vous pas mieux employer les moments
Premiers de nos premiers amours, ô cher Thésée,
Qu’à vous préoccuper d’Ariane laissée ?
— Mais taisons cela, quitte à plus tard en parler. —
Eh oui, là je vous jure, à ne rien vous céler,
Que Rosalinde, éprise encor d’un infidèle,
Trépigne, peste, enrage, et sa rancœur est telle
Qu’elle m’en a pris mon Sylvandre de dépit.
Et vous regrettez fort Sylvandre ?
Que je crois, de tomber sur votre ancienne amie ?
Et pourquoi ?
Faux naïf ! je ne le dirai mie.
Mais regrettez-vous fort Sylvandre ?
Vous ?
Vos yeux sont si beaux, votre…
De Sylvandre ?
Ô oui !
Mais au passé, chère belle.
Allons, un tel aveu, bien que tardif, s’appelle
Une galanterie, et je l’admets ainsi
Donc vous m’aimez ?
Ô oui !
Vous seriez si d’ailleurs vous l’étiez de moi !
Amie !
Ah ! que c’est froid ! « Douce amie ! » Il vous trousse
Un compliment banal et prend un air vainqueur !
J’aurai longtemps vos « oui » de tantôt sur le cœur.
Permettez…
Mais voici Rosalinde et Sylvandre.
Rosalinde !
Ainsi l’air de vos bras en façon de moulin ?
Ils débusquent. Tournons vite le terre-plein
Et vidons, s’il vous plaît, ailleurs cette querelle.
SCÈNE VIII
SYLVANDRE, ROSALINDE
Et voilà mon histoire en deux mots.
Que j’y lis à l’envers l’histoire de Myrtil.
Par un pressentiment inquiet et subtil
Vous redoutez l’amour qui venait et sa lèvre
Aux baisers inconnus encore, et lui qu’enfièvre
Le souvenir d’un vieil amour désenlacé,
Stupide autant qu’ingrat, il a peur du passé,
Et tous deux avez tort, allez Sylvandre.
Qu’il a tort…
Et tous deux souffrirez, et ce sera bien fait.
Après tout je ne vois que très mal mon forfait
Et j’ignore très bien quel sera mon martyre.
À moins que votre cœur…
Vous avez tort de rire.
Je ne ris pas, je dis posément d’une part
Que je ne crois point tant criminel mon départ
D’avec Chloris, coquette aimable mais sujette
À caution, et puis, d’autre part je projette
D’être heureux avec vous qui m’avez bien voulu
Recueillir quand brisé, désemparé, moulu,
Berné par ma maîtresse et planté là par elle
J’allais probablement me brûler la cervelle
Si j’avais eu quelque arme à feu sous mes dix doigts.
Oui je vais vous aimer, je le veux (je le dois
En outre), je vais vous aimer à la folie…
Donc, arrière regrets, dépit, mélancolie !
Je serai votre chien féal, ton petit loup
Bien doux…
Vous avez tort de rire, encore un coup.
Encore un coup, je ne ris pas. Je vous adore,
J’idolâtre ta voix si tendrement sonore ;
J’aime vos pieds, petits à tenir dans la main,
Qui font un bruit mignard et gai sur le chemin
Et luisent, rêves blancs, sous les pompons des mules.
Quand tes grands yeux, de qui les astres sont émules,
Abaissent jusqu’à nous leurs aimables rayons,
Comparable à ces fleurs d’été que nous voyons
Tourner vers le soleil leur fidèle corolle,
Lors je tombe en extase et reste sans parole,
Sans vie et sans pensée, éperdu, fou, hagard,
Devant l’éclat charmant et fier de ton regard.
Je frémis à ton souffle exquis comme au vent l’herbe,
Ô ma charmante, ô ma divine, ô ma superbe,
Et mon âme palpite au bout de tes cils d’or…
— À propos, croyez-vous que Chloris m’aime encor ?
Et si je le pensais ?
En effet !
Voulez-vous la vérité bien nue ?
Non ! Que me fait ? Je suis un sot, et me voici
Confus, et je vous aime uniquement.
Cela vous est égal qu’il soit patent, palpable,
Évident, que Chloris vous adore…
Si c’est possible ! Elle ! Elle ! Allons donc !
Hélas !
Vous en doutez ?
Elle leurre à présent Myrtil…
Dites-vous ? Mais alors il l’aime !…
Si je comprends ce cri jaloux !
Ah ! taisez-vous !
Un trompeur ! une folle !
De Myrtil, toi, hein, dis ?
Mais c’est qu’oui ! me voici l’âme tout obsédée…
Ah ! vous êtes jaloux aussi, je savais bien !
Feignons encor.
Et si vraiment je suis jaloux de quelque chose,
Le seul Myrtil du temps jadis en est la cause.
Trêve de compliments fastidieux. Je suis
Très triste, et vous aussi. Le but que je poursuis
Est le vôtre. Causons de nos deuils identiques.
Des malheureux ce sont, il paraît, les pratiques,
Cela, dit-on, console. Or, nous aimons toujours
Vous Chloris, moi Myrtil, sans espoir de retours
Apparents. Entre nous la seule différence
C’est que l’on m’a trahie, et que votre souffrance
À vous vient de vous-même et n’est qu’un châtiment.
Ai-je tort ?
Chère Chloris, je t’ai méchamment méconnue !
Qui me rendra jamais ta malice ingénue,
Et ta gaîté si bonne, et ta grâce, et ton cœur ?
Et moi, par un destin bien autrement moqueur,
Je pleure après Myrtil infidèle…
Mais c’est qu’alors Chloris l’aimerait. Ô mort d’elle !
J’enrage et je gémis ! Mais ne disiez-vous pas
Tantôt qu’elle m’aimait encore. — Ô cieux, là-bas,
Regardez, les voilà !
Qu’est-ce qu’ils vont se dire ?
SCÈNE IX
Les Précédents, CHLORIS, MYRTIL
Allons, encore un peu de franchise, beau sire
Ténébreux. Avouez votre cas tout à fait.
Le silence, n’est-il pas vrai ? vous étouffait,
Et l’obligation banale où vous vous crûtes
D’imiter à tout bout de champ la voix des flûtes
Pour quelque madrigal bien fade à mon endroit
Vous étouffait, ainsi qu’un pourpoint trop étroit ?
Votre cœur qui battait pour elle dut me taire
Par politesse et par prudence son mystère ;
Mais à présent que j’ai presque tout deviné,
Pourquoi continuer ce mutisme obstiné ?
Parlez d’elle, cela d’abord sera sincère.
Puis vous souffrirez moins, et, s’il est nécessaire
De vous intéresser aux souffrances d’autrui,
J’ai besoin en retour de vous parler de lui
Et quoi, vous aussi, vous ?
Puis-je encore espérer que mon bien-aimé m’aime ?
Nous étions tous les deux, Sylvandre, si bien faits
L’un pour l’autre ! Quel sort jaloux, quel dieu mauvais
Fit ce malentendu cruel qui nous sépare ?
Hélas ! il fut frivole encor plus que barbare,
Et son esprit surtout fit que son cœur pécha.
Espérez, car peut-être il se repent déjà,
Si j’en juge d’après mes remords…
Et mes larmes.
Les pleurs délicieux ! Cher instant plein de charmes !
C’est affreux !
Ô douleur !
Chloris !
Vous étiez là ?
Le sort capricieux qui nous désassembla
A remis, faisant trêve à son ire inhumaine,
Sylvandre en bonnes mains, et je vous le ramène
Jurant son grand serment qu’on ne l’y prendrait plus.
Est-il trop tard ?
De grâce ayez pitié quelque peu. La vengeance
Suprême, c’est d’avoir un aspect d’indulgence,
Punissez-moi sans trop de justice et daignez
Ne me point accabler de traits plus indignés
Que n’en méritent, — non mes crimes, — mais ma tête
Folle, mais mon cœur faible et lâche…
.
Relevez-vous, je suis trop heureuse à présent
Pour vous dire quoi que ce soit de déplaisant,
Et je jette à ton cou chéri mes bras de lierre.
Nous nous expliquerons plus tard (Et ma première
Querelle et mon premier reproche seront pour
L’air de doute dont tu reçus mon pauvre amour
Qui, s’il a quelques tours étourdis et frivoles,
N’en est pas moins, parmi ses apparences folles,
Quelque chose de tout dévoué pour toujours).
Donc, chassons ce nuage, et reprenons le cours
De la charmante ivresse où s’exalta notre âme.
Et quant à vous, soyez sûre, bonne Madame,
De mon amitié franche, — et baisez votre sœur.
Ô si joyeuse avec toute douceur !
Que diriez-vous, Myrtil, si je faisais comme elle ?
Dieux ! elle a pardonné, clémente autant que belle.
Ô laissez-moi baiser vos mains pieusement !
Voilà qui finit bien et c’est un cher moment
Que celui-ci. Sans plus parler de ces tristesses,
Soyons heureux.
Doux amis, et joyeux que vous êtes, cueillez
La fleur rouge de vos baisers ensoleillés.
Pour nous, amants anciens sur qui gronde la vie,
Nous vous admirerons sans vous porter envie,
Ayant, nous, nos bonheurs discrets d’après-midi.
Et voyez, aux rayons du soleil attiédi,
Voici tous nos amis qui reviennent des danses
Comme pour recevoir nos belles confidences.
SCÈNE X
Tous, groupés comme ci-dessus.
Va ! sans nul autre souci
Que de conserver ta joie !
Fripe les jupes de soie
Et goûte les vers aussi.
La morale la meilleure,
En ce monde où les plus fous
Sont les plus sages de tous,
C’est encor d’oublier l’heure.
Il s’agit de n’être point
Mélancolique et morose.
La vie est-elle une chose
Grave et réelle à ce point ?