Une fleur

 
Cette fleur est pour moi la date d'une année
Que le fleuve du temps a noyée en son cours ;
Vingt fois la même fleur s'est rouverte et fanée
Depuis... Mais celle-là me fait rêver toujours.

C'était un de ces jours que jamais on n'oublie,
Jour de bonheur suprême, hélas! sans lendemain.
Celle que j'adorais, et qui l'avait cueillie,
Quand le soir fut venu l'effeuilla dans ma main.

« Le soleil est couché ; mais gardons, me dit-elle,
Quelque chose du moins du jour évanoui.
L'heure qui vit s'ouvrir cette fleur sous son aile
Est la même qui vit mon cœur épanoui.

« Nous ne pouvons, hélas ! enchaîner à la rive
Un seul des flots du temps, qu'il soit amer ou doux ;
Mais nous pouvons semer sur l'onde fugitive
Nos débris de bonheur en mémoire de nous ! »

L'homme heureux de Samos aux flots jeta sa bague,
Pour éprouver les dieux et tenter son bonheur;
Le flot la lui rendit... Nous, jetons à la vague,
A la vague du temps, ce jour et cette fleur !

Et si Dieu nous les rend, même dans l'autre monde,
Rendons grâce à la vie, et disons : « Gloire à lui ! »
Le chemin est bien long, la nuit est bien profonde ;
Mais le ciel n'est pas loin, car l'amour nous a lui !

Note[]

  1. Polycrate.

 
Cette fleur est pour moi la date d'une année
Que le fleuve du temps a noyée en son cours ;
Vingt fois la même fleur s'est rouverte et fanée
Depuis... Mais celle-là me fait rêver toujours.

C'était un de ces jours que jamais on n'oublie,
Jour de bonheur suprême, hélas! sans lendemain.
Celle que j'adorais, et qui l'avait cueillie,
Quand le soir fut venu l'effeuilla dans ma main.

« Le soleil est couché ; mais gardons, me dit-elle,
Quelque chose du moins du jour évanoui.
L'heure qui vit s'ouvrir cette fleur sous son aile
Est la même qui vit mon cœur épanoui.

« Nous ne pouvons, hélas ! enchaîner à la rive
Un seul des flots du temps, qu'il soit amer ou doux ;
Mais nous pouvons semer sur l'onde fugitive
Nos débris de bonheur en mémoire de nous ! »

L'homme heureux de Samos aux flots jeta sa bague,
Pour éprouver les dieux et tenter son bonheur;
Le flot la lui rendit... Nous, jetons à la vague,
A la vague du temps, ce jour et cette fleur !

Et si Dieu nous les rend, même dans l'autre monde,
Rendons grâce à la vie, et disons : « Gloire à lui ! »
Le chemin est bien long, la nuit est bien profonde ;
Mais le ciel n'est pas loin, car l'amour nous a lui !

Collection: 
1810

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