Le Soir d’une Bataille


Tels que la haute mer contre les durs rivages,
À la grande tuerie ils se sont tous rués,
Ivres et haletants, par les boulets troués,
En d’épais tourbillons pleins de clameurs sauvages.

Sous un large soleil d’été, de l’aube au soir,
Sans relâche, fauchant les blés, brisant les vignes,
Longs murs d’hommes, ils ont poussé leurs sombres lignes
Et là, par blocs entiers, ils se sont laissés choir.

Puis ils se sont liés en étreintes féroces,
Le souffle au souffle uni, l’œil de haine chargé.
Le fer d’un sang fiévreux à l’aise s’est gorgé ;
La cervelle a jailli sous la lourdeur des crosses.

Victorieux, vaincus, fantassins, cavaliers,
Les voici maintenant, blêmes, muets, farouches,
Les poings fermés, serrant les dents, et les yeux louches,
Dans la mort furieuse étendus par milliers.

La pluie, avec lenteur lavant leurs pâles faces,
Aux pentes du terrain fait murmurer ses eaux ;
Et par la morne plaine où tourne un vol d’oiseaux
Le ciel d’un soir sinistre estompe au loin leurs masses.

Tous les cris se sont tus, les râles sont poussés.
Sur le sol bossué de tant de chair humaine,
Aux dernières lueurs du jour on voit à peine
Se tordre vaguement des corps entrelacés ;

Et là-bas, du milieu de ce massacre immense,
Dressant son cou roidi, percé de coups de feu,
Un cheval jette au vent un rauque et triste adieu
Que la nuit fait courir à travers le silence.

Ô boucherie ! ô soif du meurtre ! acharnement
Horrible ! odeur des morts qui suffoques et navres !
Soyez maudits devant ces cent mille cadavres
Et la stupide horreur de cet égorgement.

Mais, sous l’ardent soleil ou sur la plaine noire,
Si, heurtant de leur cœur la gueule du canon,
Ils sont morts, Liberté, ces braves, en ton nom,
Béni soit le sang pur qui fume vers ta gloire !

Collection: 
1889

More from Poet


  • ...

  •  
    LE THÉRAPEUTE.

    O sainte et vieille Égypte, empire radieux,
    Impénétrable temple où se cachaient les dieux,
    O terre d'Osiris, ô reine des contrées,
    Heureux qui vit le jour dans tes plaines sacrées !
    Bienheureux l'étranger ! — Vînt-il des bords aimés
    Où...

  •  

    Certes, ce monde est vieux, presque autant que l’enfer.
    Bien des siècles sont morts depuis que l’homme pleure
    Et qu’un âpre désir nous consume et nous leurre,
    Plus ardent que le feu sans fin et plus amer.

    Le mal est de trop vivre, et la mort est...

  • Ô mon Seigneur Christus ! hors du monde charnel
    Vous m’avez envoyé vers les neuf maisons noires :
    Je me suis enfoncé dans les antres de Hel.

    Dans la nuit sans aurore où grincent les mâchoires,
    Quand j’y songe, la peur aux entrailles me mord !
    J’ai vu lâ...

  • Tandis qu’enveloppé des ténèbres premières,
    Brahma cherchait en soi l’origine et la fin,
    La Mâyâ le couvrit de son réseau divin,
    Et son cœur sombre et...