Me reconnaissez-vous ? Aux rivages lointains,
Pauvre abeille, j'osai chercher d'autres destins,
Et je voulus aussi connaître et voir le monde.
Inconstante, trouvant, en touchant chaque fleur,
Rarement le plaisir, bien souvent la douleur,
J'ai promené longtemps ma course vagabonde.
Sous les cieux étrangers mon bonheur s'envola,
Car, malgré leurs beautés, mon coeur n'était pas là.
Voyez, d'un blanc manteau mes ailes sont couvertes.
Ah ! pour vous voir encor j'ai bravé les frimas,
Heureuse de quitter ces radieux climats
Au ciel toujours serein, aux feuilles toujours vertes.
Comme l'enfant prodigue implorant mon pardon,
Honteuse, je reviens. Ah ! votre coeur est bon
Et vos bras recevront la pauvre fugitive.
Sous ce toit vous avez guidé mes premiers pas ;
Oui, je suis votre enfant, et vous ne pouvez pas
Plus longtemps repousser ma voix faible et plaintive.
Donc j'ai votre pardon. Oh ! j'ai bien voyagé !
Voyez, de sucs nouveaux mon bagage est chargé.
Puis, le soir, réunis dans notre vieille salle,
Je vous dirai comment, pour composer mon miel,
A Ceylan j'ai cueilli la feuille du bétel,
La violette en Chine et la rose au Bengale,
Sur les bords italiens la fleur de l'amandier,
Sous le ciel espagnol celle du grenadier.
Précipitant plus loin ma course aventureuse
Et ramenant mon vol sur les bords de l'Indus,
J'ai surpris ton secret, mystérieux lotus,
Entr'ouvrant au soleil ta corolle frileuse !
Et, de tous ces parfums, faisant un nouveau miel,
Quand viendra du Jeudi le retour solennel,
Peut-être mes récits charmeront votre oreille.
Je travaillerai tant pour remplir vos loisirs,
Que, retrouvant bientôt tous vos vieux souvenirs,
Comme aux jours d'autrefois vous aimerez l'Abeille.
Et maintenant, amis, que notre accord est fait,
Recevez un conseil sous forme de souhait.
De vivre et de mourir où vécurent vos pères
Vous faisant pour toujours un sublime devoir,
N'allez pas comme moi, remplis d'un fol espoir,
Perdre vos plus beaux jours aux rives étrangères.
1er janvier 1850.