Puisque l’Ennui suprême a plissé tous les fronts,
Puisque rien d’héroïque et rien d’incorruptible
N’est plus resté debout au-dessus des affronts
Et que l’Idéal meurt, le front sur une bible,
Puisque sont morts aussi les dieux qu’on écoutait
Quand les vents de la Grèce apportaient leurs oracles,
Puisque Jésus lui-même en son ciel bleu se tait
Et semble avoir perdu la foi dans ses miracles,
Puisque la nudité de la Femme est pour nous
Un temple violé sans charme et sans surprise
Et qu’au lieu d’y plier en tremblant nos genoux
Nous l’allons traverser d’un geste qui méprise,
Puisque les grands, les purs sont dédaigneux d’agir
Et seraient lapidés s’ils tentaient l’épreuve,
Sans pouvoir sur les fronts de la foule élargir
Le drapeau frissonnant de la parole neuve,
Puisque c’est bien fini, puisqu’à présent encor
— Indice indénié des temps de décadence ―
Devant la monstrueuse Idole au ventre d’or,
Comme au temps d’Israël, le peuple chante et danse,
Puisque c’est bien ainsi, résignez-vous, les cœurs !
Car il vous reste l’Art, temple aux portes bénies,
Monument de refuge où de rares liqueurs
Font aux songes blessés de calmes agonies.
L’art, asile de l’âme, où les bonheurs rêvés,
Les orgueils, les amours brèves de la jeunesse
Vont se coucher, la tête en sang, les yeux crevés,
Côte à côte, dans les lits blancs de la tristesse.
Aux chevets de l’antique et durable hôpital
Voici, pour adoucir leur fièvre ou leur phtisie,
Pour les aider à vivre et pour tromper leur mal,
Voici la Sœur Musique et la Sœur Poésie.
Bonnes sœurs assistant les désirs survivants,
Leur récitant le soir des vers et des légendes,
Ou déroulant pour eux, avec leurs doigts fervents,
Des rythmes combinés en de roses guirlandes.
Bonnes sœurs leur montrant, pour leur l’espoir,
Le Chef-d’œuvre rêvé, beau des douleurs divines,
Qui, comme un crucifix tout en or sur fond noir,
Leur tend les bras de loin sous un bandeau d’épines !…