Le Poète souffrant

 
Qu’un stoïque aux yeux secs vole affronter la mort.
Moi je pleure et j’espère ; au noir souffle du nord
Je plie et relève ma tête !…
(André Chenier)

Aujourd’hui je jette à la foule
Mes vers, mes hymnes de douleurs,
Comme un pâtre à l’eau qui s’écoule
D’un doigt distrait sème des fleurs
(Dominique Rouquette)

 
Triste dans ma retraite obscure
Où le destin m’a confiné,
Je me crois seul dans la nature
Et de Dieu même abandonné.

Jeté sur un lit de souffrance,
En vain j’implore son secours ;
Hélas ! j’ai perdu l’espérance
De voir encore d’heureux jours.

Frêle arbrisseau qu’abat l’orage,
À son effort j’ai résisté ;
Mais j’ai vu tomber mon feuillage,
Que les autans ont emporté.

Souffrant, aujourd’hui l’on m’oublie,
Déjà l’amour s’est envolé ;
L’espoir, qui soutenait ma vie,
A fui mon cœur inconsolé.

Et l’amie intime et sincère
Qui m’inspira mes plus doux chants,
A sur une rive étrangère
Exilé ses attraits touchants.

Quand, promenant ta rêverie
Sur son lac riant, enchanteur,
Le souvenir de la patrie
Vient attrister ton tendre cœur ;

Quand ton penser vif et pudique,
Reprenant un nouvel essor,
À cet instant mélancolique
Fait succéder tes rêves d’or ;

Vierge, sais-tu qu’en ma chaumière,
Morne, seul avec ma douleur,
Toujours ma fervente prière
N’a pour objet que ton bonheur.

Ton bonheur !…Ah ! que ma souffrance,
Si Dieu l’exige en soit le prix,
Mais qu’il me donne l’espérance
De voir encor tes traits chéris.

Ah ! loin du tourbillon du monde,
Ange adoré, ton souvenir,
Dans ma solitude profonde,
Me fait songer à l’avenir….

Pensif et la tête inclinée,
J’ai bien souvent, pardonne-moi,
Maudit l’affreuse destinée
Qui m’ôta l’espoir d’être à toi.

À toi ! félicité suprême
Tu n’étais pas faite pour moi.
Pour toi j’eusse dédaigné même
La couronne du plus grand roi.

Ô toi, doux rêve de ma vie,
Qui me berças de ton erreur !
Laisse en paix mon âme flétrie,
J’ai bien assez de mon malheur.

Sur l’océan de l’existence,
Poussé par le sort irrité,
J’ai vu briser mon espérance
Sur l’écueil de l’adversité.

Mourant, je vois briller l’étoile
Qui devait éclairer mon sort,
Et fuir à l’horizon la voile
Qui ne peut me conduire au port.

Adieu toi, généreuse amie,
Qui sus répandre quelques fleurs
Sur l’affreux sentier de ma vie,
Trop souvent arrosé de pleurs !

Puissé-je, au ciel où je m’élance,
Vers un Dieu rémunérateur,
Trouver, un jour, pour récompense
Le don précieux de ton cœur !

Adieu, soleil, douce nature !
Rêves charmants de mes beaux jours,
Amour, amitié sainte et pure,
Je vous laisse, adieu, pour toujours !

Septembre 1841

Collection: 
1834

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