Nous sommes les anges que l’on ne peut pas voir
parce que notre corps est en air et dans l’air.
Nous pleurons de joie sur les mendiants amers
quant pleut sur eux la pluie douce des sous verts et noirs.
Nous ne connaissons pas les noms propres célèbres,
car que nous fait à nous que la Terre soit ronde,
car que nous fait à nous que la Mer soit profonde ?
Nous chantons Dieu qui le sait et en est le Père.
Nous chantons Dieu qui le sait et en est le Père.
La lumière fait naître les choses en ombre,
et, quoique rien ne naisse ou ne meure à la tombe,
une grande joie va naître sur la Terre.
Un poète va naître,
Oh ! que Dieu est bon.
Le Monde va naître
dans une prison.
Nous sommes les anges
que l’on ne peut voir.
Nous aimons les mendiants
aux doigts en sous noirs.
Le Monde, comme hier, roule, et comme demain.
Nous ne comprenons rien à ce que l’on comprend.
Nous savons que le feu et l’air sont transparents,
et qu’un poète naît ainsi que le matin.
La Terre, l’Univers et Ce qui les dépasse
chantent jusqu’à ce que le poète en soit plein,
et la mort c’est la vie, le père l’orphelin,
l’orphelin c’est le père, et la prison l’espace.
Les forêts, cette nuit, ont fait taire leurs harpes
pour en donner le son à celui qui va naître.
La Nuit était épaisse et donnait sa lumière
à celui qui va en être plein comme un astre.
Le Jour se fait plus clair et il donne sa nuit
à celui qui y jettera de la lumière.
On a entendu s’arrêter, un moment, la Terre
qui lui donnait la terre afin qu’il la pétrît.
La Mère lui a donné les hoquets et les larmes,
le Feu lui a donné la chaleur des artères,
le Ciel lui a donné le séjour de la Terre,
la Vie lui a donné la Mort qui grandira.
Nous aimons les grand’mères paralytiques
dont la souffrance douce a fait mourir les pieds,
et dont la consolation est la justice.
Nous aimons sur nos fronts les roses en papier
des églises pauvres où le silence crie,
et, sur l’autel, les vases de loterie dorés.
Nous ployons un genou et nous croisons les doigts,
en nous regardant, et pareils comme nos ailes.
Nous sommes la Religion qui s’en va,
mais reste aux coeurs meurtris des pauvresses humaines
J’aime les hommes bons. Je plains l’homme mauvais.
J’aime les bonnes choses, les animaux et les plantes.
J’aime les révoltés, j’aime les résignés,
j’aime la Nuit, le Jour, le Soir et l’Aube blanche.
J’aime et ne demandez pas d’expliquer des choses.
Pourquoi voulez-vous que je vous les explique ?
— Car c’est moi qui vous ai donné une logique,
l’illogisme aussi, et le blé, et les roses.
J’aime. Aimez. Sans doute que j’ai eu raison...
Ne me demandez pas pourquoi une vipère
se fait tuer pour ses petits, en bonne mère.
A genoux ! Les cœurs débordent de la raison.
Hosanna ! Frappons donc sur les timbales d’or
des pôles résonnants du globe universel.
Frappons encor, frappons encor, frappons encor,
et chantons un chant pur comme l’eau et le sel.
Les oiseaux de paradis volent en Papouasie.
Ils agitent leur vol en guenilles d’or sur les fleurs en cloche
et sur les lianes dont bougent un peu les roses...
Le poète qui naît entend cette harmonie.
Une belle femme nue, sur des roses d’Asie,
fait un geste aussi doux que la Mer qui se plie,
et un jeune homme beau et assoupi l’admire...
Le poète qui naît voit cette harmonie.
Sur le sable d’Afrique les pauvres militaires
meurent en appelant leurs amis et leurs mères,
et ont si soif qu’ils doivent lécher la terre
sèche, de leur langue sèche, noire, salée et amère...
Le poète qui naît entend ces agonies.
Dans les villes mercantiles, en Amérique,
on entend les hommes actifs taper le fer.
Les cuirassés coupent la Mer.
Le poète qui naît conçoit les mécaniques.
L’Europe aux lèvres roses, aux blanches épaules,
fait une vapeur bleue aux vitres du pôle,
Et est parfumée par des mers unies.
Le poète qui naît sait cette harmonie,
Le Monde est comme un arbre, et dont les purs esprits
sont les bons fruits...
Les fleurs sont les femmes, et les feuilles sèches se traînant
sont les mendiants.
UN ESPRIT
Nous sommes les processions des campagnes.
Devant nous se dressent les montagnes,
et nous chantons sur la route en poussière, amie des âmes
Les petites filles blanches et empesées
portent de petites bannières et sont frisées
comme les doux agneaux qui sont dans les prés.
La procession a deux rangs qui vont lentement.
On marche un à un. Les hommes vont gravement,
en tendant le jarret, le chapeau à la main.
C’est une gloire. On dirait des choses qui volent.
La rue de la petite ville est fraîche, et les banderolles
inclinent des baisers à la jonchée d’herbes douces.
Le chant monte et la petite place, au soir,
agite poétiquement sur le pur reposoir
les arbres municipaux frais comme des arrosoirs.
L’Élévation ! A genoux ! Les feuilles comme des arrosoirs
pleurent sur le peuple agenouillé et plein d’espoir,
et alors, dans l’enthousiasme, vers l’ostensoir
les petites filles jettent des pétales de roses,
et les filles plus âgées qui chantaient si douces,
se taisent, courbées devant les vases de mousse,
et la clochette tinte saintement,
et le peuple se relève tout doucement.
Tout ça a quelque chose de très calmant.
Nous sommes les processions
des Fêtes-Dieu, des Rogations,
les Adorations, les Bénédictions.
Nous sommes tristes comme les vieux jardins du pays basque
comme les croix en fleurs des routes pâles,
comme l’âme du poète qui vit dans un village,
et qui regarde passer, sur les pavés très âgés,
les pas morts de parents morts qui furent aux îles,
et qui dorment sous les tabacs roses des Antilles,
dans la paix de la mort d’un cimetière abandonné.
Oh ! quelles douces voix ! Écoutons et prions.
C’est un poète qui naît. Nous sommes les vierges qui donnons
nos corps aux jeunes gens impurs et pardonnons
en souriant et en ouvrant nos bras où glissent
leurs sourires. Et nous sommes les vierges lisses
qui lavons nos corps pour entrer dans le lit
des jeunes gens dont notre douce chasteté
pardonne, avec tristesse, la brutalité...
Car c’est de nous que naît l’humanité,
de nous que naît la ligne de beauté,
de nous que naît la ligne de bonté,
de nous que naît la criminalité,
de nous que naît l’universalité,
de nous que naît, ce matin, un poète.
D’où la chanson de cette lyre vient-elle ?
C’est le cri de l’enfant à travers les osiers
de son berceau qui fait penser au Nil
où Moïse dormait ainsi que dans une île
en argent, pendant qu’au bord vaseux les royales filles
attendaient le lit flottant qu’elles recueillirent.
De même qu’aujourd’hui un poète naît d’une femme,
de même, en ce temps-là, Moïse, poète par l’âme,
naquit de ces filles qui furent ses mères
en l’empêchant de mourir noyé.
Que ce soit là ou ici : le même berceau
que le berceau de Moïse-sauvé-des-eaux,
est le berceau d’où tu entends ce cri en rire
à travers les osiers qui forment une lyre.
Vous chantez de joie, et moi je meurs abattu.
J’ai le délire et vais mourir et vous chantez.
Je croyais dormir parmi les lits bien alignés,
lorsque l’on a enfoncé une chose aiguë
Je vais mourir. J’entends vos chants de joie passer
dans les cornettes bougeantes et bien lissées
des sœurs en cire qui tiennent de longues fioles.
Les étudiants qui parlaient bas disaient : c’est drôle...
Je suis né un jour, moi aussi, comme un poète,
et j’ai perdu ma mère et mon frère.
J’avais une maladie et je gagnais assez d’argent
pour acheter les remèdes et le traitement
Chantez ! Je suis Celui qui mène les agneaux
dont la laine est durcie aux poussières des routes
vers la berge juteuse et verte où sont les eaux
L’infini ouvrant l’ombre a ouvert la lumière.
L’un va à la lumière et l’autre va à l’ombre.
Qui naît, le savez-vous ? Qui descend à la tombe ?
La mort, la vie pour vous sont des morceaux de terre.
Mais il y a bien plus que des morceaux de terre,
il y a bien plus que la lumière et que l’ombre.
C’est ce qu’on ne sait pas qui est vraiment la tombe.
C’est l’ombre qu’on ne sait pas qui est la lumière.
Chantons ! L’âme du poète descend sur la Terre.
L’âme du poète descend sur la Terre.
Le poète, c’est moi, puisque j’existe et qu’il existe.
Je porte des fruits, des fleurs et des colombes grises,
comme en portent aussi les mains du poète.
Comme lui, je porte une hache dans mon cœur ;
comme lui, je chante au vent. On n’écoute pas.
Et, quand je suis vieux, je tombe à bas,
comme lui, sans cheveux et plein de vers rongeurs.
L’âme du poète descend sur la Terre.
Le poète, c’est moi, car je suis dure comme l’homme,
tout eu ayant de la mousse douce et bonne,
comme de la bonté sur l’âme du poète.
Comme à lui, on me jette des ordures :
les oiseaux jacasseurs, aux riches plumages,
laissent tomber sur moi des fientes du haut des arbres :
mais je rends en argent ces éclaboussures.
L’âme du poète descend sur la Terre.
Le poète, c’est moi, puisque je coule comme son sang,
et que je chante, et que je prie, en m’écorchant
aux ronces, pour aller me perdre dans la Mer.
Comme lui qui traîne, jusqu’à la mort, les feuilles
où il a écrit en pleurant la grande Nature,
je traîne les feuilles en or que je recueille,
en passant dans les bois, et sous elles je pleure.
L’âme du poète descend sur la Terre.
Le poète, c’est moi, car j’ombrage le front des ânes
et les champignons en poison comme les hommes,
et mes feuilles sont ornées comme un poème.
Lui, c’est moi, car je jaunis et je suis cassante,
et me brise lorsque les larmes de la pluie
tombent sur moi, comme celles des pauvres gens
sur son âme qui en meurt petit à petit.
L’âme du poète descend sur la Terre.
Lui, c’est nous. Nous sommes nus et sans feuilles.
Comme lui nous vivons pauvres dans les bourbiers,
maigres et nous pliant parce que nous sommes faibles.
Et l’on ne peut saisir ce qui se passe en nous,
ainsi qu’on ne le peut dans l’âme du poète.
Le chien d’arrêt croit trouver quelque chose toujours
en nous, mais n’y trouve souvent que de la terre.
L’âme du poète descend sur la Terre.
Elle, c’est nous. Nous avons l’air méchantes, mais
nous abritons des fleurs, des oiseaux et des lièvres...
Et quand nous arrachons, aux agneaux, du duvet,
c’est pour les nids où les oiseaux nus auraient froid,
et nous avons aussi pour eux de bonnes mûres ;
mais l’homme qui veut tout pour soi
nous écarte à coups de couteau, à coups de chaussure.
L’âme du poète descend sur la Terre.
Lui ; c’est moi. Il y eut, peut-être, des amoureux
près de ma cheminée en noir mortier pluvieux,
comme dans l’âme en miettes noires du poète.
Mais il n’y en a plus... Mais il n’y en a plus...
Il a l’air d’en rire comme moi, dans la nuit,
sous le vent, dans son pauvre et luisant pardessus,
comme moi sous mon toit si triste luisant de pluie.
Je suis claire comme moi-même, l’air et l’âme
du poète, et l’on voit croître, à travers mes eaux,
des branches de corail pareilles au cerveau
ramifié et aux poumons rouges de l’homme.
Qui est-ce qui sait donc que je ne pense pas ?
Qui est-ce qui niera que je ne sois poète,
lorsque des poissons d’or s’agitent dans ma tête
ainsi que des pensées qu’obscurcit le brouillard,
le brouillard qui descend ainsi que l’Inconnu,
et qui est ce voile jeté sur toutes choses
qui fait qu’on ne sait jamais où ont disparu
les bateaux qui pleuraient au vent comme des hommes.
Je vais, car je suis poète, sur une terre qui bouge
et qui est la mer où volent les poissons,
et sur qui nagent les oiseaux aux ailes longues
et molles comme les flots qui se courbent.
On dit que le poète porte à la mata une lyre.
Moi, j’ai des cordes tendues où chante le vent,
et le vent n’est-il pas la voix de Dieu, autant
que celle du poète qui ne l’a que par Lui ?
J’ai le corps du poète au fond de la mer :
le bateau mort a des côtes comme les hommes ;
et, ma voile, comme un mouchoir à une femme
dit au revoir, salue quelque pieuvre cruelle.
Nous vivons dans la mort, comme les grands poètes,
dans la mort transparente et saine de l’eau ;
et nous n’entendons plus le murmure des terres,
et le ciel de la nuit fait le jour dans les flots.
Nous avons été déchirés par des requins,
comme le poète par l'homme, et avons nourri
des huîtres, des araignées, des oursins
et des pieuvres qui rougissent comme des femmes qui sourient.
Nous sommes noyés dans la mer comme il est noyé
sur la terre, et nos lambeaux s’incrustent aux rochers
comme des Prométhées dont le foie est rongé
par l’amour de la tendre et chaste bien-aimée...
Mais nous nous vengerons, et quand la bien-aimée
tendra sa bouche à l’eau peur y boire notre sang
qui s’y épand en gouttes, nous laisserons, en pâlissant,
glisser des roses d’or sur sa gorge gonflée.
Et, petit à petit, comme des bras de femme,
les algues nous entoureront, entoureront ;
et nous en sentirons bientôt jusqu’au front,
puis elles nous lieront doucement jusqu’à l’âme.
Dors, ô Terre ! Car je suis l’âme du poète.
Je te berce à jamais au sein de l’Infini,
pendant que Dieu, que l’on ne peut pas voir, nous berce
au sein de l’Infini d’où naît notre Fini.
Les Forces sont en moi comme dans une forge.
Les étoiles sont des charbons en feu qu’éteint
je ne sais Qui de fort qui s’en va le matin,
et qui forge les sangliers, le poète et l’orge.
Écoute ! Les anges chantent de beaux cantiques.
Ils ont des harpes, des écharpes et des voix tendres.
Écoute ! Le poète est né ! Gloire ! Il faut entendre
cette paix de Bonté et ces chœurs d’Harmonie.
Regarde ! La nuit, ô Terre, se déchire.
Le poète est né, et voici les Célébrantes :
ce sont les choses de tous les jours, qui, comme avant,
continuent pour qu’il les aime et pour qu’il les chante.
Vois ! C’est là-bas, vers l’Aube, la colline,
ô Terre ! avec les perdrix perdues dans la neige.
Il fait jour ! Gloire ! Reconnais les vieux cimetières
éparpillés comme des orgues d’agonie
Reconnais-toi toi-même, et, puisque tu es lui,
puisque nous sommes lui, toi et moi et la Mer,
regarde passer, en courbes, dans les airs,
les canards que tu dois reposer et nourrir.
Ils s’en viennent du Ciel pour aller à la Mer,
et pour se reposer, ô Terre ! sur tes terres.
Unissons nos devoirs et soyons le poète
qui a un seul cœur et qui a une seule tête.
Éveille-toi ! La nuit terrestre se déchire ;
le poète est né, et voici les Célébrantes.
Je me réveille, ô Ciel ! Je suis l’âme-poète,
et je te berce aussi, ô Ciel, parmi les cieux
L’air que je berce est toi, et, bercé, tu me berces.
Je me suis réveillée au cri poussé par l’Infini,
au moment où naissait le poète dans la paix douce
Et j’entends les ruisseaux, les terres et les mousses.
Terre, je te berce de chants et de parfums,
et je berce le Ciel où chantent les étoiles.
Mais le Ciel qui me berce est bercé par toi.
Aimons-nous à jamais, car nous ne sommes qu’un.
Nous sommes l’âme du poète qui est née maintenant.
Une grande joie M’emplit et Je parfume
les pieds de Dieu, pareille à l’encensoir qui fume.
Je suis le jour, la nuit, le bruit et le silence.