Évocations (Vivien)/La Mort de Psappha

« Lasse du jardin où je me souviens d’elle,
J’écoute mon cœur oppressé d’un parfum.
Pourquoi m’obséder de ton vol importun,
Divine hirondelle ?

« Tu rôdes, ainsi qu’un désir obstiné,
Réveillant en moi l’éternelle amoureuse,
Douloureuse amante, épouse douloureuse,
O pâle Procné.

« Tu fuis tristement vers la rive qui t’aime,
Vers la mer aux pieds d’argent, vers le soleil…
Je hais le printemps, qui vient, toujours pareil
Et jamais le même !

« Ah ! me rendra-t-il les langueurs de jadis,
Le fiévreux tourment des trahisons apprises,
L’attente et l’espoir des caresses promises,
Les lèvres d’Atthis ?

« J’évoque le pli de ses paupières closes,
La fleur de ses yeux, le sanglot de sa voix,
Et je pleure Atthis que j’aimais autrefois,
Sous l’ombre des roses… »

Vierge, que cherches-tu parmi nous ?

Vierge, que cherches-tu parmi nous ? La Beauté.
Je cherche la colère et la stupeur des lyres,
L’âpreté du mélôs, parmi la cruauté
Des regards sans éclairs et des mornes sourires.

Viens cueillir avec nous les roses de Psappha :
Elle enseigne les chants qui plaisent aux Déesses.

Viens, tu verras, parmi ses ferventes prêtresses,
Celle dont le laurier grandit et triompha.

Ses cheveux sont pareils aux sombres violettes.

Seule, elle sait tramer les musiques muettes
Des gestes et des pas.

Des gestes et des pas. Son baiser est amer
Et mord, comme le sel violent de la mer.

Elle est triste ce soir. Son regard inquiète.

Quelle angoisse l’étreint ?

Quelle angoisse l’étreint ? Un songe de Poète ?

Non. Car elle est sauvage et triste tour à tour,
Et se lamente, en, proie aux affres de l’amour.

Accueille, immortelle Aphrodita, Déesse,
Tisseuse de ruse à l’âme d’arc-en-ciel,
Le frémissement, l’orage et la détresse
De mon vain appel.

Éloigne de moi ton mépris et ta haine,
Verse à ma douleur tes sourires cléments,
Et ne brise pas mon âme, ô Souveraine,
Parmi les tourments.

Aphrodita changeante, implacable Immortelle,
Tu jaillis de la mer, périlleuse comme elle.
La vague sous tes pas se brisait en sanglots.
Amère, tu surgis des profondeurs amères,
Apportant dans tes mains l’angoisse et les chimères,
Ondoyante, insondable et perfide. Et les flots
Désirèrent tes pieds, plus pâles que l’écume.
Ta lumière ravage et ta douceur consume.

Fille de Kuprôs, je t’ai jadis parlé
À travers un songe.

Comme un son de paktis indécis et voilé,
L’incertaine douceur de sa voix se prolonge…

Tu m’as répondu, toi, dont la cruauté

Pèse sur mon âme immuablement triste :
« Pourquoi sangloter mon nom ? Quelle Beauté,
Psappha, te résiste ?

« Moi, fille de Zeus, je frapperai l’orgueil
De celle qui fuit ton baiser, ô Poète !
Tu verras errer vainement sur ton seuil
Son ombre inquiète. »

Ton venin corrompt le sourire des jours,
Déesse, et flétrit ma chair humiliée,
Toi qui fus jadis mon rayonnant secours,
Ma prompte Alliée.

Tel on voit périr par le flambeau mouvant
L’essor des phalènes.

L’Amour a ployé mon âme, comme un vent
Des montagnes tord et brise les grands chênes…

Rien ne brûle en ses yeux des poèmes vécus…

Son regard se dérobe et pâlit sous les voiles.

Je n’espère point étreindre les étoiles
De mes bras vaincus.

Oh ! vers quel lointain, vers quel mystère va-t-elle ?

Le soir tombe. Elle va vers l’oubli de l’amour,
Vers la Mort.

Sans espoir, sans désir de retour,
Elle atteint lentement le rocher de Leucade…

Sa voix fiévreuse pleure et râle par saccade.

Vierges, la volupté de la Mort est dans l’air…

Psappha vient de s’éteindre ainsi qu’une harmonie.

J’entends, comme un écho, son appel d’agonie.

Et je vois son cadavre emporté par la mer…

O compagnes, les pleurs sont de légères choses
Et ne conviennent point au glorieux trépas…
Chantez ! il faut remplir de rythmes et de roses
La maison du Poète où le deuil n’entre pas !

Collection: 
1903

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