SYLVIA.
L’Ordre du Mont-Carmel, l’Ordre des Carmélites,
C’est l’Ordre qui m’admit entre ses prosélytes ;
L’âme y trouve un refuge illuminé d’amour ;
Elle y trouve, en exil, un céleste séjour. —
L’Ordre du Mont-Carmel, c’est l’Ordre de Marie ;
Le modèle de tous, établi par Elie ;
L’Ordre du Scapulaire, où tous seront sauvés,
Par ce saint Vêtement de l’Enfer préservés ! —
Né sous l’ancienne Loi, c’est l’Ordre des prophètes,
Qui reçoit dans son sein artistes et poètes,
Venant lui demander ce breuvage de miel,
Qui nourrit au désert les enfants d’Israël ;
Venant lui demander la paix et le silence,
Et de l’isolement l’austère vigilance ! —
L’Ordre du Mont-Carmel, ah ! c’est là mon abri !
Dans ce jardin sacré, mon âme a refleuri !
Loin d’un monde ennemi, je m’y suis envolée ;
Et par l’amour de Dieu mon âme est consolée !
Hélas ! si j’avais su, dès mon âge enfantin,
Qu’un ciel m’était ouvert sur le Carmel lointain,
Je n’eusse pas erré de tristesse en tristesse,
Trouvant l’amer dégoût au fond de chaque ivresse ;
Je n’eusse pas connu le désenchantement,
Et la satiété qui suit l’enivrement ;
Mais j’aurais clos mon cœur, et, dans un doux mystère
J’aurais toujours vécu, voilée et solitaire ;
J’aurais au Seigneur seul consacré tous mes jours,
Et « dans un seul amour éteint tous les amours ! »
ANTOINE CALYBITE.
Bienheureuse, ô ma sœur, en ta fuite du monde,
Et ta vie au désert, et ta paix si profonde !
Tel un cygne alarmé, poursuivi des chasseurs,
Sur ses ailes d’argent regagnant les hauteurs,
Dans les grands lacs du Nord va chercher un asile ;
Sur les ondes d’azur, nage ou s’endort tranquille ;
Et doux chantre, abrité d’harmonieux roseaux,
Se bâtit, solitaire, un nid au bord des eaux
L’Ordre du Mont-Carmel, l’Ordre antique d’Elie,
L’Ordre des Carmes saints, où l’âme se délie,
C’est là que je voudrais, dans un esprit nouveau,
Pour n’être plus qu’à Dieu, me construire un tombeau ;
C’est là que je voudrais, dans les pleurs, la prière,
La sainte solitude et le silence austère,
Ne voir, ne respirer que du côté du ciel ; —
C’est vers toi que j’aspire, Ordre du Mont-Carmel !
Tes cellules sans nombre, et pourtant séparées,
Oui, j’habite en espoir tes cellules sacrées !
C’est toi qui recueillis, dans ta gloire autrefois,
Les chants mélodieux de Saint Jean-de-la-Croix ;
C’est toi qui, de nos jours, reçus la mélodie
Se répandant à flots d’une âme convertie ;
Tu fus, et te seras le refuge éternel
De tout aigle mystique, Ordre du Mont-Carmel !
L’Eglise a toujours eu les Beaux-Arts pour cortège,
Et l’on peut admirer ce qu’elle aime et protège : —
Salut, pieux artiste, au doux regard voilé,
Cœur profond, attiré vers un monde étoile ;
Mélancolique enfant, dont l’âme fut choisie
Pour exprimer des sons toute la poésie ;
Par toi, nous entendons, en des tons ravissants,
Les choses de l’esprit se traduire à nos sens :
Rêve, espoir, souvenir, chaque pensée intime,
Tous les soupirs du cœur, ton clavier les exprime ;
Il vibre à l’unisson, quand ton âme frémit ;
Il parle sous tes doigts, chante, pleure et gémit ;
Ton âme, en s’exaltant, le charme et l’électrise ;
Il s’ébranle avec toi, tressaille et sympathise !
Oh ! qui pourrait t’entendre et ne pas s’écrier :
Un souffle inspirateur agite ce clavier ! —
L’esprit, qui fait jaillir les hymnes des poètes,
Réveille les accords de ses touches muettes ;
Oh ! qui pourrait t’entendre et ne pas s’écrier :
L’esprit de l’harmonie habite ce clavier ! —
Au plus mystique essor élevant la matière,
Tu peux dans un arpège élancer ta prière ;
Oh ! qui pourrait t’entendre et ne pas s’écrier :
L’Ange de la prière anime ce clavier !
L’Ordre du Mont-Carmel, c’est l’Ordre des Ascètes
Dont l’esprit a choisi les tranquilles retraites ;
Dont l’esprit s’envola, dès son premier élan,
Du Carith au Carmel, du Carmel au Liban ;
C’est l’Ordre qu’a fondé le grand prophète Elie ;
C’est l’Ordre qu’entre tous a protégé Marie :
C’est là que s’est enfui l’esprit contemplatif ;
Là, que le cœur agit, dans un calme inactif ;
Agit, dans son repos, d’une action plus LÛre ;
C’est là que la Prière, Ange au vol sans mesure,
En planant immobile, émeut le monde entier ;
Et reste toujours humble, en son essor altier ;
C’est là que, d’âge en âge, en son instinct sublime,
Vint s’abriter chaque âme, échappée à l’abîme ;
Et d’un sommeil mystique endormie en Dieu seul,
Porta la chair en paix comme un vivant linceul ;
Loin d’un monde orageux, d’où le bruit les exile,
Les cœurs contemplatifs y trouvent un asile ;
Et dans l’isolement, par l’amour exaltés,
Du ciel anticipé goûtent les voluptés !
Tandis que de la chair on voit les fruits s’accroître,
Vous, épouses du Christ, vous priez dans le cloître ;
Vos cœurs, illuminés des hautes visions,
Se reposent en Dieu, libres des passions ;
Son esprit à la fois vous éclaire et vous brûle ;
Votre cloître est un temple, un ciel votre cellule ;
Et tandis qu’au dehors grondent les flots amers,
Vous priez en repos pour le siècle pervers.
SYLVIA.
L’amour, c’est la science,
L’amour, c’est le trésor,
Qu’une heureuse ignorance
Trouve et préfère à l’or !
Je sais tout, puisque j’aime
Le Dieu de tout savoir :.
L’Astre est plus que l’emblème,
Est plus que le miroir !
Dans le repos de l’âme,
Active oisiveté,
Brille un ciel tout de flamme.
Ardemment reflété !
O sainte quiétude,
Doux sommeil lumineux,
Où l’âme, sans étude,
Apprend et connaît mieux ;
Où, tranquille et passive,
L’amour, en son repos,
La flamme intuitive,
L’inonde de ses flots ;
Où, doucement ravie
Au céleste séjour,
Folle de la folie
D’un extatique amour,
Elle parle un langage,
Incompris des cœurs froids ;
Des cœurs qui, dans notre âge,
Ont déserté la Croix !....
O douce pénitence !
O pleurs du repentir ! —
Ou souffrir ou mourir,
C’est toute ma science !
FIN DU PREMIER ÂGE.