Mélancolie

 
Tu fus pour moi comme un arbre chéri
que les vents courbent sans le briser, et
qui, avec une affectueuse fidélité,
balance son feuillage sur un tombeau.
(Byron, Stances à sa Sœur)

 
Loin de ma sœur chérie
Que le sort m’a ravie,
Hélas ! ma triste vie
N’a plus de jours sereins !
Oui, toujours sa présence,
Par sa douce influence,
Apaisait ma souffrance
Et calmait mes chagrins.

Hélas ! loin de la ville,
Elle fuit et s’exile,
Pour revoir Mandeville,
Où le devoir l’attend.
Loin d’elle je soupire,
Et n’ai plus que ma lyre ;
Mais le son que j’en tire,
Personne ne l’entend.

D’un mourant qui s’envole,
Et que l’espoir console,
C’est la douce parole
Et les derniers adieux ;
C’est la vive étincelle,
La sublime parcelle
De son âme immortelle,
Qui va briller aux cieux.

Souvent sa voix touchante,
Dont le timbre m’enchante,
Du mal qui me tourmente
A suspendu le cours.
Et son charmant sourire,
Que je ne puis décrire,
Chassait l’affreux délire
Qui consume mes jours.

Suspendant son courage,
Quand un sombre nuage
Passait, comme un orage,
Sur mon front soucieux,
Sa voix qui m’est si chère,
Me disait : «Ô mon frère !
«Pourquoi ce front sévère
«Et cet air sérieux ?

«Souffres-tu davantage ?
«Ou quelque affreuse image,
«D’un sinistre présage,
«Vient-elle t’attrister ?
«Oh ! chasse ces pensées
«Sinistres, insensées,
«Dans ton esprit pressées : —
«Pourquoi te tourmenter ?

«Regarde en cette foule
«Qui s’agite et s’écoule,
«Et, comme un fleuve, roule
«Ses flots toujours croissants,
«Vois cette pauvre femme
«Qui, la douleur dans l’âme,
«De tout passant réclame
«Le pain de ses enfants.

«Vois, accablé par l’âge,
«Sur cette affreuse plage,
«Ce vieillard que l’orage
«N’a pas su respecter ;
«Il gémit, il appelle,
«Mais sa douleur cruelle
«Dans la nuit éternelle
«Va le précipiter !

«Lorsque le jour décline,
«Vois la pauvre orpheline
«Qui lentement chemine
«Et demande un soutien.
«Contemple leur misère,
«Et dis après, mon frère :
«Leur malheur, sur la terre,
«Est plus grand que le mien.

«Mon frère, ta souffrance
«Aura sa récompense
«De Dieu, dont la clémence
«Excuse nos erreurs.
«Mais, non ; l’espoir encore,
«Consolant météore,
«Illumine et colore
«Ta vie et tes malheurs.»

Je restais sans réplique,
Car sa voix angélique,
Ravissante musique,
Me pénétrait le cœur.
Dans cette douce ivresse,
J’oubliais ma tristesse,
Je bénissais ma sœur.

Et la douce prière,
Divine messagère,
Sur son aile légère
Portait mes vœux au ciel ;
Et, franchissant la route
De la céleste voûte,
Les déposait, sans doute,
Aux pieds de l’Éternel !

Félicité précaire,
Ta durée éphémère
Comme une ombre légère
Disparut et s’enfuit ;
Tel un riant mensonge,
Un agréable songe,
Dans l’ivresse nous plonge
Et s’efface la nuit.

Colombe douce et pure,
Céleste créature,
Tout le mal que j’endure
Cesse à ton souvenir.
Que Dieu, qui récompense
La vertu, l’innocence,
Te réserve d’avance
Un heureux avenir !…

Mon Dieu, ma voix t’implore
À ma dernière aurore,
Sur ma sœur daigne encore
Étendre ta bonté ;
Et bientôt puisse-t-elle,
À l’amitié fidèle,
Reparaître sur l’aile
De la félicité ! ! !

Octobre 1839

Collection: 
1834

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