Fane-toi, beau jardin dont j’aimais les odeurs,
Où s’attardaient, plaintifs et las, les vents rôdeurs.
Que périssent demain tes miels et tes odeurs !
Et que d’infâmes vers rongent le cœur des roses !
Que penchent les pavots et les pivoines closes !
O jardin, que le soir fasse mourir tes roses !
Vienne le vent mauvais qui tuera ces jasmins
Qu’elle cueillit hier, en passant, de ses mains
Qui restaient pâles dans la pâleur des jasmins !
Voici que monte et que s’accroît le flot des herbes
Furieuses autant que les vagues acerbes…
Que monte la marée invincible des herbes !
Et que ce flot tenace étrangle les grands lys
Pareils à sa blancheur et qu’elle aimait jadis !
Que soit anéanti le dernier de ces lys !
Que le passant dénonce et détruise ces ronces,
Dont l’accueil est pareil aux plus rudes semonces,
En maudissant le mal infligé par ces ronces !
Jardin, pourquoi serais-tu beau, jeune et charmant,
Toi qui ne reçois plus mes pas fiévreux d’amant
Et qui n’abrites plus son jeune corps charmant ?
Je t’abandonne aux yeux futurs, je te délaisse !
Puisque tu ne plais plus à la belle maîtresse
Qui t’aimait, à mon tour, jardin, je te délaisse…
Beau jardin où nos pas ne s’égareront plus,
Reçois des étrangers les longs soins superflus !
Fane-toi, beau jardin ! Elle ne m’aime plus.