Quand Orphée eut perdu sa maîtresse à jamais,
Il dit : « Je chanterai, pour épuiser ma peine,
Un thrène harmonieux sur celle que j’aimais. »
Fuyant l’Hèbre fatal et sa rive inhumaine,
Au bois sombre, où parfois sonne un rugissement,
Il promenait les chants de la Lyre d’ébène.
Mais il sentait la plainte inégale au tourment.
Il cria : « L’Art est vain et ne saurait tout dire.
L’air qui vibre n’est rien, et la Muse nous ment. »
Il arracha d’un coup les trois fils de la Lyre,
Et, tandis qu’un suprême et déchirant accord
Eclate et dans le bois mélancolique expire,
Il se coucha sur l’herbe et souhaita la mort.
Était-ce une déesse ? était-ce un dieu ? Mystère.
Une forme éthérée, un clair fantôme bleu,
On ne sait d’où venu, descendit sur la terre.
Il abattit son vol auprès du demi-dieu
Et, déployant sur lui ses ailes blanchissantes,
Ouvrit le sein d’Orphée avec son doigt de feu.
Alors, pour remplacer les trois cordes absentes,
Il lui tira du cœur trois fibres, — et soudain
Au Luth silencieux les fixa frémissantes.
Réveillant le poète, il lui mit à la main
La merveilleuse Lyre aux fils rouges et tièdes,
Et dit : « Joue à présent, maître, et va ton chemin ! »
A sa voix se leva le prince des Aèdes,
Et son Luth animé, plein de souffles ardents,
Si douloureusement vibra sous ses doigts raides,
Que les tigres rayés et les lions grondants
Le suivaient attendris, et lui faisaient cortège,
Doux, avec des lambeaux de chair entre les dents.
Chœur monstrueux conduit par un divin Chorège !
Les grands pins, pour mieux voir l’étrange défilé,
En cadence inclinaient leurs fronts chargés de neige.
Les gouttes de son sang sur le Luth étoilé
Brillaient. Charmant sa peine au son des notes lentes,.
L’Aède, fils du Ciel, se sentit consolé :
Car tout son cœur chantait dans les cordes sanglantes.