Jésus

 
I

« Christ, après deux mille ans tes temples sont déserts,
Et l'on dit que ton nom s'éteint dans l'univers ;
Partout dans nos cités ta croix chancelle et tombe ;
Quelques vieillards craintifs seuls en ornent leur tombe ;
Arbre frappé de mort, le temps pourra venir
Sans ranimer sa sève et sans la rajeunir.
Et pourtant, ô Jésus ! l'impie avec audace
Ne vient plus comme un juif te cracher à la face ;
Mais sa main de ton front tant de fois insulté
Détache les rayons de la divinité :
A d'autres de guider le monde dans sa course,
De frapper le rocher d'où jaillira la source ;
A d'autres le flambeau que le génie humain
Pour éclairer sa nuit passe de main en main !
Dans l'oubli de la foi le peuple se repose ;
Il use de ses jours sans en chercher la cause,
Et s'il voit prospérer son fruit jeune et vermeil,
Il bénit son travail ou l'ardeur du soleil.

Ainsi, quand, relisant ta merveilleuse histoire,
Et domptant notre orgueil, nous essayons de croire,
Plus forte la raison nous dit : « Détrompez-vous,
Jésus fut mon ami, mon ami le plus doux.
Mais sous la nuit des temps l'image s'est voilée.
Autrefois je l'ai vu venir de Galilée,
Ses cheveux sur son front tombant avec candeur,
Dans la force de l'âge et toute sa splendeur.
Calme et majestueux, sa longue robe blanche,
Négligemment liée à son cou qui se penche,
Tombait jusqu'à ses pieds, et les plis gracieux
Dans le goût d'orient revenaient sur ses yeux.
Or, telle de ses yeux était la douce flamme,
Qu'à les voir seulement on devinait son âme,
Et si douce sa voix, qu'un aveugle eût cru voir
Son regard angélique et pur comme un miroir.
Tel qu'un sage d'Asie, amoureux des symboles,
De sa bouche abondaient de longues paraboles,
Des mots mystérieux, sous lesquels il couvrait
Sa doctrine puisée au lac de Nazareth,
Tous préceptes de paix, de douceur, d'indulgence :
La tendre humilité, l'horreur de la vengeance,
Et le mépris du monde, et l'espoir vers le ciel
Qui prend soin du ciron et de la mouche à miel
Et revêt tous les ans les lis de la vallée
D'une robe de neige, et qu'ils n'ont pas filée,
Plus belle, en vérité, que dans tout son pouvoir
Le grand roi Salomon n'en put jamais avoir.
Ainsi, compatissant, il allait sur la terre,
Faisant fléchir la loi pour la femme adultère,
Aux hommes ne parlant que de fraternité,
Et sans faste orgueilleux prêchant la pauvreté ;
Car chez le pharisien, assis dans une fête,
Une femme versa des parfums sur sa tête ;
Et, pleine de respect, de tendresse, d'effroi,
La foule le suivait, voulant le faire roi ;
Et ses moindres discours étaient autant d'oracles ;
Et tout Jérusalem répétait ses miracles,
Démons chassés, amis rappelés du trépas ;
Les sages écoutaient, mais ils ne croyaient pas.
Nous, qu'écouter et croire ? »

II

                                        — O Raisonneurs ! Qu'importe ?
Nul n'apporta jamais nourriture plus forte ;
Si la sagesse est Dieu, nul n'aura reflété
Une plus grande part de la divinité ;
Nul n'aura fait jaillir fontaine plus féconde,
Où, depuis deux mille ans, sans la tarir, le monde
S'abreuve et puise encore, ignorant aujourd'hui
Qu'il boit à cette source et qu'elle coule en lui.
Laisse tomber tes croix, ô Jésus ! à l'insulte,
S'il le faut, abandonne et ton nom et ton culte !
Comme un chef de famille à l'heure de sa mort,
Voyant ses fils pourvus, avec calme s'endort,
Dans ton éternité tu peux t'asseoir tranquille,
Car pour l'éternité ta parole est fertile :
O toi qui de l'amour fis ta première loi,
O Jésus ! l'univers est à jamais à toi.

Collection: 
1826

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