Les gueux, les gueux,
Sont les gens heureux ;
Ils s’aiment entre eux.
Vivent les gueux !
Des gueux chantons la louange.
Que de gueux hommes de bien !
Il faut qu’enfin l’esprit venge
L’honnête homme qui n’a rien.
Les gueux, les gueux,
Sont les gens heureux ;
Ils s’aiment entre eux.
Vivent les gueux !
Oui, le bonheur est facile
Au sein de la pauvreté :
J’en atteste l’Évangile ;
J’en atteste ma gaîté.
Les gueux, les gueux,
Sont les gens heureux ;
Ils s’aiment entre eux.
Vivent les gueux !
Au Parnasse la misère
Long-temps a régné, dit-on.
Quels biens possédait Homère ?
Une besace, un bâton.
Les gueux, les gueux,
Sont les gens heureux ;
Ils s’aiment entre eux.
Vivent les gueux !
Vous qu’afflige la détresse,
Croyez que plus d’un héros,
Dans le soulier qui le blesse,
Peut regretter ses sabots.
Les gueux, les gueux,
Sont les gens heureux ;
Ils s’aiment entre eux.
Vivent les gueux !
Du faste qui vous étonne
L’exil punit plus d’un grand ;
Diogène, dans sa tonne,
Brave en paix un conquérant.
Les gueux, les gueux,
Sont les gens heureux ;
Ils s’aiment entre eux.
Vivent les gueux !
D’un palais l’éclat vous frappe,
Mais l’ennui vient y gémir.
On peut bien manger sans nappe ;
Sur la paille on peut dormir.
Les gueux, les gueux,
Sont les gens heureux ;
Ils s’aiment entre eux.
Vivent les gueux !
Quel Dieu se plaît et s’agite
Sur ce grabat qu’il fleurit ?
C’est l’Amour qui rend visite
À la Pauvreté qui rit.
Les gueux, les gueux,
Sont les gens heureux ;
Ils s’aiment entre eux.
Vivent les gueux !
L’Amitié que l’on regrette
N’a point quitté nos climats.
Elle trinque à la guinguette,
Assise entre deux soldats.
Les gueux, les gueux,
Sont les gens heureux ;
Ils s’aiment entre eux.
Vivent les gueux !