ngantyr, dans sa fosse étendu, pâle et grave,
À l’abri de la lune, à l’abri du soleil,
L’épée entre les bras, dort son muet sommeil ;
Car les aigles n’ont point mangé la chair du brave,
Et la seule bruyère a bu son sang vermeil.
Au faîte du cap noir sous qui la mer s’enfonce,
La fille d’Angantyr que nul bras n’a vengé
Et qui, dans le sol creux, gît d’un tertre chargé,
Hervor, le sein meurtri par la pierre et la ronce,
Trouble de ses clameurs le héros égorgé.
Angantyr, Angantyr ! c’est Hervor qui t’appelle.
Ô Chef, qui labourais l’écume de la mer,
Donne-moi ton épée à la garde de fer,
La lame que tes bras serrent sur ta mamelle,
Le glaive qu’ont forgé les Nains, enfants d’Ymer.
Mon enfant, mon enfant, pourquoi hurler dans l’ombre
Comme la maigre louve au bord des tombeaux sourds ?
La terre et le granit pressent mes membres lourds,
Mon œil clos ne voit plus que l’immensité sombre ;
Mais je ne puis dormir si tu hurles toujours.
Angantyr, Angantyr ! sur le haut promontoire
Le vent qui tourbillonne emporte mes sanglots,
Et ton nom, ô guerrier, se mêle au bruit des flots.
Entends-moi, réponds-moi de ta demeure noire,
Et soulève la terre épaisse avec ton dos.
Mon enfant, mon enfant, ne trouble pas mon rêve :
Si le sépulcre est clos, l’esprit vole au dehors.
Va ! Je bois l’hydromel dans la coupe des forts ;
Le ciel du Valhalla fait resplendir mon glaive,
Et la voix des vivants est odieuse aux morts.
Angantyr, Angantyr ! donne-moi ton épée.
Tes enfants, hormis moi, roulent, nus et sanglants,
Dans l’onde où les poissons déchirent leurs reins blancs.
Moi, seule de ta race, à la mort échappée,
Je suspendrai la hache et le glaive à mes flancs.
Mon enfant, mon enfant, restons ce que nous sommes :
La quenouille est assez pesante pour ta main.
Hors d’ici ! va ! La lune éclaire ton chemin.
Ô femme, hors d’ici ! Le fer convient aux hommes,
Et ton premier combat serait sans lendemain.
Angantyr, Angantyr ! rends-moi mon héritage.
Ne fais pas cette injure à ta race, ô guerrier !
De ravir à ma soif le sang du meurtrier.
Ou, sinon, par Fenris ! puisse le loup sauvage
Arracher du tombeau tes os et les broyer !
Mon enfant, mon enfant, c’est bien, ton âme est forte.
La fille des héros devait parler ainsi
Et rendre à leur honneur son éclat obscurci.
Prends l’Épée immortelle, ô mon sang, et l’emporte !
Cours, venge-nous, et meurs en brave. La voici.
Angantyr, soulevant le tertre de sa tombe,
Tel qu’un spectre, les yeux ouverts et sans regards,
Se dresse, et lentement ouvre ses bras blafards
D’où l’épée au pommeau de fer s’échappe et tombe.
Et le héros aux dents blanches dit : Prends et pars !
Puis, tandis qu’il s’étend sur le dos dans sa couche,
Qu’il recroise les bras et se rendort sans bruit,
Hervor, en brandissant l’acier qui vibre et luit,
Ses cheveux noirs au vent, comme une ombre farouche,
Bondit et disparaît au travers de la nuit.