Contes des fées/Mulot et Mulotte

MULOT ET MULOTTE

Deux vieux époux, pauvres et gens de bien,
Vivaient du temps de ma Grand’Mère l’Oie,
Comme beaucoup des héros que j’emploie.
Ils se nommaient, si je me souviens bien,

L’homme Mulot et la femme Mulotte.
Tous deux étaient couchés dans le moment,
Et, dans leurs lits, ils dormaient chaudement :
Vieil amour même empêche qu’on grelotte.
Cette remarque est ici de saison ;
La neige avec la bise faisait rage
Tant et si bien, qu’en cette nuit l’orage
Menaçait fort d’emporter la maison.
Je dis maison, je veux dire cabane.
Car au maçon, qui n’usa de cordeau,
Il ne fallut qu’un peu de terre et d’eau,
Non plus de bois que la charge d’un âne.
Comme ils dormaient, une Voix appela,
Une et deux fois, puis trois, de telle sorte
Qu’il était clair que quelqu’un à la porte
Demandait aide.

        — « Eh ! Parbleu, me voilà ! »
Fit le bonhomme, en quittant sa paillasse.
Et rien n’est plus cruel que lorsqu’il faut
Quitter ainsi pour l’air froid le lit chaud.

En aurions-nous fait autant à sa place ?

— « Oh ! Pour l’amour de Dieu ! » demandait-on
D’une voix douce autant que douloureuse.

Mulot ouvrit.

Mais une Vieille affreuse

Entra :

    La voix, du coup, changea de ton.
— « Fort bien ! » dit-elle.

        Elle était secouée
De fièvre ensemble et de froid, les pieds nus,
Et puis lépreuse, à des signes connus,
Car elle avait une voix enrouée
Comme ont les chiens après de longs abois,
La face ardente avec les chairs putrides,
L’œil clair dans l’ombre, et sur la peau des rides
Rèches autant que l’écorce du bois.
Vous auriez eu la preuve à voir sa mine,

Ses yeux méchants et ses ongles crochus,
Que pour bons cœurs il n’est gens si déchus,
Puisqu’en pitié l’on prit cette vermine
Et que nos gens la mirent en leur lit.
Mulot jeta dans l’àtre une bourrée,
Donna le linge, et Mulotte affairée
Eut du courage aux soins qu’elle accomplit.

II

Comme on lavait cette triple Mégère
Voilà-t-il pas que, sans désemparer.
Elle en vient toute à se transfigurer,
Tant qu’en beauté le Conteur n’exagère,

Et qu’elle en a blonds cheveux à monceaux,
Les traits charmants, les chairs amignonnées
Comme au matin des roses fleuronnées,
Et les yeux bleus du bleu profond des eaux.
— D’un trait à l’autre on ne vit le passage —
Et puis drap d’or, taffetas et satin,
Couleur d’iris et couleur du matin
Lui font gentils cotillon et corsage.
Elle sauta du lit pour mieux causer,
Ayant un astre au front, qui l’illumine.
Lors elle était de si gentille mine,
Qu’il eût fallu le Roi pour l’épouser !

C’était alors une ordinaire chose
Que Fée errante et Fantômes changeants :
Aussi ni l’un ni l’autre de nos gens
Ne s’étonna de la métamorphose.

— « Ami, je suis satisfaite de vous, »
Leur dit la Fée ; et sa voix naturelle
Etait ainsi qu’un chant de tourterelle,

Et son sourire encor était si doux,
Que nos bons vieux en furent vite à l’aise.
— « Ça, faites-moi de grands souhaits, je veux
« En un moment accomplir tous vos voeux, »
Reprit la Fée.

« Eh ! ne vous en déplaise,
« De votre part, c’est bien de la bonté.

« Dis, que veux-tu pour bonne récompense ?

« Dam ! rien.

« Quoi ! rien ?

« Rien du moins que je pense. »

— « Oh ! oh ! Le cas est rare en vérité,
Et je vois bien qu’il faut que je vous aide.
— « Et je sais trop, se dit-elle en songeant,
« Par où le prendre : il n’est souci d’argent
« Que l’homme riche ou pauvre ne possède. »
Et ce disant la Feé avait raison :
Dépense induit en nouvelle dépense.
Richesse autant que misère dispense
D’avoir un sou vaillant à la maison.

« Ami Mulot, veux-tu devenir riche
A ton souhait ?

        « Et ne le suis-je pas ?
« Ma femme et moi faisons nos deux repas,
« Ma belle Dame, et mon bien n’est en friche.
« J’ai pour ma vache assez de foin fauché,
« Mes trois pommiers emplissent dix corbeilles.

« Je mouds vingt sacs de seigle, et les abeilles
« Valent, par an, deux écus au marché.
« Je puis encor tous les jours de l’année
— Sans vous fâcher — donner aux pauvres gens,
« Clercs en voyage ou moines indigents,
« L’aide du ciel que je vous ai donnée.

— « Le Roi toujours n’eut si bon compagnon,
« Et noble cœur fait souche de noble homme.
« Mulot, ma foi ! serait bon gentilhomme.
« On en a vu bien d’autres : pourquoi non ?

(S’adressant à Mulot.)

« Maître Mulot, veux-tu que je te fasse
« Seigneur céans, écuyer ou baron ?
« J’attacherai moi-même l’éperon.
« Tu prendras nom Mulot de Bonne-Face ;
« Et tu pourras porter en mon honneur
« Le champ d’azur de mon blason de Fée
« Dragon d’argent et colombe coiffée.

« Et si sur ce quelque beau raisonneur
« Vient à gloser, il l’ira dire à Rome ! »

— « Je suis certain, belle Dame, à vous voir
« Que vous avez magnifique pouvoir
« Et ne voulez vous rire d’un pauvre homme.
« Mais, voyez-vous, honneurs sont dangereux.
« L’autre semaine en notre voisinage
« Un vieux Seigneur, à peu près de mon âge,
« Fut bien occis aux croix du chemin creux.
« Il fut, pourtant, charitable en sa vie,
« De bon esprit comme de bon aloi.
Je ne pourrais, en mon nouvel emploi,
« Non mieux que lui, me garder de l’envie.
« Car je ne suis bien savant ni bien fort,
« Et n’eus jamais encrier ni rapière.
« Et sans compter que mon cousin Grand-Pierre
« Se gausserait certe, et n’aurait pas tort. »

III

Quoiqu’un peu sotte en toute cette affaire,
La bonne Fée eut le cœur de chercher
Quel nouveau don le pourrait bien toucher
Et quel grand bien elle lui pourrait faire :
Et tout à coup elle lui demanda :

— « Aimes-tu bien ta femme ?

        « Il n’est, pardienne !
Bonne besogne encore que la sienne.

« Et l’as-tu bien toujours aimée ?

        « Oui-da !
« Je m’en souviens, elle était de votre âge,
« C’était le mois qui suivit la moisson,
« Il se peut bien alors qu’un bon garçon
« Fasse sa cour sans manquer à l’ouvrage.
« Et, sans avoir le teint que vous avez,
« Elle était bonne et belle à sa manière
« Et fraîche ainsi qu’une fleur printanière.
« Bref, en deux mois nous étions arrivés
« (Nous connaissant déjà de longue date)
« A nous aimer. Si bien que les voisins
« En me voyant ramener ses poussins,
« Fendre le bois et lui porter sa jatte,
« Disaient : — A quand la noce et le repas ?
« Quoique la chose encor ne fût pas faite,
« Car les parents sont toujours de la fête.
« Et cependant ils ne se trompaient pas.
« J’étais un gars de quelque économie,
« Et je sus bien, le jour qu’il en fut temps,
« Aller quérir vingt bons sous d’or comptants

« Pour les bailler aux parents de ma mie.
« Et depuis, dam ! j’ai semé notre blé,
« Et nous avons vécu toujours ensemble.
« N’est-ce pas tout vous dire, ce me semble ?
« Le temps, ainsi que l’eau coule, a coulé. »

— « Maître Mulot, » lui dit la bonne Fée,
— Et dans l’instant, le vent de renouveau
Qui remplit l’air vous eût pris le cerveau,
Comme un parfum de lilas par bouffée. —
« Maître Mulot, veux-tu redevenir
« Jeune, et revivre une jeunesse telle
« Avec Mulotte ? — Et Mulotte veut-elle
« En même temps que Mulot rajeunir ?
« Parle, Mulot, — et parle aussi, Mulotte ;
« Car jusqu’ici tu n’as beaucoup parlé,
« Et Fée ou femme, en notre démêlé,
« N’eût pas manqué de porter la culotte. »

Mulotte, ainsi qu’elle eût fait à vingt ans,
Baissa les yeux ; car, pour femme soumise,

Parler devant son homme n’est de mise :
L’exemple est bon aux femmes de tous temps.

Et Mulot dit :

— « Si ma pensée est nette,
« Respect gardé, pourtant je ne puis point
« Vous satisfaire encore sur ce point
« Non plus que faire une réponse honnête.
« Excusez-en, Madame, un vieux barbon.
« Vivre deux fois est-il un avantage,
« Et si je fais peau neuve en mon grand âge,
« Serais-je bien Mulot pour tout de bon ?
« L’homme se prend aux ruses qu’il machine.
« Et je préfère encor ne rien changer,
« Bon bûcheron n’a son fagot léger,
« Et les ans lourds, qui me courbent l’échine,
« M’ont plu comme un fagot à fagoter,
« Et bien qu’encor la charge soit pesante,
« Je crois qu’avec Mulotte, ici présente,
« Nous viendrons bien à bout de la porter.

« Votre bonté passe en tout mon envie,
« Et pour ma part j’ai le sens trop étroit
« Pour être induit à tenter par surcroit
« Le sort chanceux d’une seconde vie. »

IV

Le Conteur dit que l’on ne poussa pas,
Et que la Fée était bonne personne.

— « Chacun, dit-elle, à sa mode en raisonne,
« Ami Mulot. Vous êtes, en tout cas,
« De braves gens, — le reste vous regarde. »

Puis, honorant Mulot comme il voulait,

Elle trempa du pain bis dans du lait
Et but avec nos bons vieux.

Et but avec nos bons vieux. Dieu les garde !

Collection: 
1881

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