La Cigarette (Page de la vingtième année).

Viens, ma gentille cigarette,
Dissiper un trop long ennui,
Avec toi, ce que je regrette
Je veux l'oublier aujourd'hui.
Tu le sais, souvent je suis triste.
Quoique l'on voie en mon réduit
Tout le mobilier d'un artiste :
Deux chaises, une table, un lit.
 

Mais il faut à la jeune fille —
Enfant du grand air, du soleil —
De l'espace, un beau ciel qui brille
Pour lui sourire à son réveil.
Et quand mon âme de poète
Voudrait jeter de joyeux cris,
Je n'aperçois de ma chambrette
Que des toits noirs et le ciel gris.

O mon beau pays de Provence !
O bouquet aux riants buissons
Où, dès que le printemps commence.
Tout est fleurs, amours et chansons !
Même quand le mistral tourmente
Et la vallée et le coteau,
Le rossignol joyeux y chante
Dans les peupliers du hameau.

Dès le matin, dans la rosée
Mouillant mes pieds, cheveux au vent,
Je m'en allais, l'âme embrasée,
Soupirant, chantant, écrivant.
Sous les grands dômes de verdure,
Oubliant et fatigue et faim,
Des bois de pins le doux murmure
Me berçait d'un rêve sans fin.

Quand de ma course vagabonde
Je rentrais le soir, souvent tard,
Deux enfants à la tète blonde
Attiraient mon premier regard.
L'un dormait au sein de sa mère,
Aux grands yeux bleus pleins de douceur,
L'autre courait dans la chaumière...
C'étaient les enfants de ma sœur.

Ne pleurons plus ces douces choses.
Qui sait ? peut-être avec le temps,
Je pourrai cueillir quelques roses
Comme celles de mon printemps.
N'importe, chère cigarette,
Laisse-moi rêver aujourd'hui...
J'aime tant ce que je regrette
Que je me plais dans mon ennui.

Collection: 
1880

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