Le Berger et le Rossignol

A M. L’ABBÉ DELILLE.

O toi, dont la touchante et sublime harmonie
Charme toujours l’oreille en attachant le cœur,
Digne rival, souvent vainqueur,
Du chantre fameux d’Ausonie,
Delille, ne crains rien, sur mes légers pipeaux
Je ne viens point ici célébrer tes travaux
Ni dans de faibles vers parler de poésie.
Je sais que l’immortalité
Qui t’est déjà promise au temple de mémoire,
T’est moins chère que ta gaîté;
Je sais que, méritant tes succès sans y croire,
Content par caractère et non par vanité,
Tu te fais pardonner ta gloire
À force d’amabilité :
C’est ton secret, aussi je finis ce prologue.
Mais du moins lis mon apologue;
Et si quelque envieux, quelque esprit de travers,
Outrageant un jour tes beaux vers,
Te donne assez d’humeur pour t’empêcher d’écrire,
Je te demande alors de vouloir le relire.

Dans une belle nuit du charmant mois de mai,
Un berger contemplait, du haut d’une colline,
La lune promenant sa lumière argentine
Au milieu d’un ciel pur d’étoiles parsemé ;
Le tilleul odorant, le lilas, l’aubépine,
Au gré du doux zéphyr balançant leurs rameaux,
Et les ruisseaux dans les prairies
Brisant sur des rives fleuries
Le cristal de leurs claires eaux.
Un rossignol, dans le bocage,
Mêlait ses doux accents à ce calme enchanteur;
L’écho les répétait, et notre heureux pasteur,
Transporté de plaisir, écoutait son ramage.
Mais tout à coup l’oiseau finit ses tendres sons.
En vain le berger le supplie
De continuer ses chansons.
Non, dit le rossignol, c’en est fait pour la vie;
Je ne troublerai plus ces paisibles forêts.
N’entends-tu pas dans ce marais
Mille grenouilles coassantes
Qui, par des cris affreux, insultent à mes chants?
Je cède, et reconnais que mes faibles accents
Ne peuvent l’emporter sur leurs voix glapissantes.
Ami, dit le berger, tu vas combler leurs vœux ;
Te taire est le moyen qu’on les écoute mieux :
Je ne les entends plus aussitôt que tu chantes.

Collection: 
1775

More from Poet

  • Un chien vendu par son maître
    Brisa sa chaîne, et revint
    Au logis qui le vit naître.
    Jugez de ce qu'il devint
    Lorsque, pour prix de son zèle,
    Il fut de cette maison
    Reconduit par le bâton
    Vers sa demeure nouvelle.
    Un vieux chat, son compagnon,...

  • Vous connaissez ce quai nommé de la Ferraille,
    Où l'on vend des oiseaux, des hommes et des fleurs.
    A mes fables souvent c'est là que je travaille ;
    J'y vois des animaux, et j'observe leurs moeurs.
    Un jour de mardi gras j'étais à la fenêtre
    D'un oiseleur de mes amis...

  • Un vieux renard cassé, goutteux, apoplectique,
    Mais instruit, éloquent, disert,
    Et sachant très bien sa logique,
    Se mit à prêcher au désert.
    Son style était fleuri, sa morale excellente.
    Il prouvait en trois points que la simplicité,
    Les bonnes moeurs, la...

  • Un pauvre petit grillon
    Caché dans l'herbe fleurie
    Regardait un papillon
    Voltigeant dans la prairie.
    L'insecte ailé brillait des plus vives couleurs ;
    L'azur, la pourpre et l'or éclataient sur ses ailes ;
    Jeune, beau, petit maître, il court de fleurs en fleurs...

  • Un chat sauvage et grand chasseur
    S'établit, pour faire bombance,
    Dans le parc d'un jeune seigneur
    Où lapins et perdrix étaient en abondance.
    Là, ce nouveau Nembrod, la nuit comme le jour,
    A la course, à l'affût également habile,
    Poursuivait, attendait,...