Le Barde

 
Morne et seul, je passais mes jours à m'attrister,
Mais l'esprit du pays m'est venu visiter,
Et le son de sa voix semblait le chant des brises
Qui sifflent dans la lande aux bords des pierres grises.

Il dit : « Je fus un barde, et l'on me chante encor.
Cette colline verte au-dessous de Ker-Rorh
Est ma tombe. à ses pieds le torrent se déchaîne.
Là, durant les chaleurs, sous les branches d'un chêne,
Un vieux prêtre chrétien souvent venait s'asseoir ;
Et toi, qui par la main guidais cet homme noir,
Enfant, tu t'asseyais près de lui sur la mousse,
Et tu lisais alors d'une voix calme et douce.
D'un sage et vieux druide, ainsi, dans la forêt,
Disciple, je suivis l'enseignement secret.
J'ai redit vos discours aux esprits des bruyères ;
Et ceux des bois taillis, des étangs, des rivières,
Quand ton livre s'ouvrait, volaient en tourbillons :
On eût dit sous le chêne un essaim de frelons,
Tant arrivaient d'esprits, d'ombres et d'âmes folles
Pour recueillir le miel des savantes paroles.
On t'aimait. à la nuit, quand par le bois d'Elô
Tu revenais au bourg, des touffes de bouleau
Entendais-tu sortir des plaintes étouffées ?
Ces plaintes, cher enfant, étaient celles des fées :
C'étaient leurs cris d'amour, leurs chants grêles, leurs vœux
Car plusieurs te suivaient en baisant tes cheveux,
Et quand l'une dans l'air déployait son écharpe
Tous les bardes chantaient inclinés sur la harpe.

« Cette nuit, le jeune homme est triste ; la cité
Le retient dans ses murs comme en captivité ;
Seul près de son foyer, voyant le bois qui fume,
Il pense au sombre Arvor tout entouré de brume,
Il entend la mer battre au pied de Log-Onâ,
Et la nue en pleurant passer sur Comanâ.
Jeune homme, dans ton cœur ainsi tu te désoles ;
Mais Paris, c'est le lieu des arts et des écoles,
Ici toute science a ses temples ouverts ;
Et l'Armorique, hélas ! N'a plus que ses bois verts.
Rejeton du passé, barde, notre espérance,
Reste encore et grandis dans ces villes de France !
L'esprit de ton pays viendra te visiter.
Quand ton cœur est trop plein, laisse ton cœur chanter.

« Adieu ! L'ombre pâlit. Sur tes vitres mouillées
Comme le vent se plaint ! Bruyantes et gonflées,
Les sources vers la mer vont dégorger leurs eaux,
Et les rocs de Penn-Marc'h déchirent les vaisseaux :
Par tes vers, ô chrétien ! Calme donc ces flots sombres,
Car le Christ a ravi leur force aux anciens nombres. »

Collection: 
1826

More from Poet

  • Ô maison du Moustoir ! combien de fois la nuit,
    Ou quand j'erre le jour dans la foule et le bruit,
    Tu m'apparais ! - Je vois les toits de ton village
    Baignés à l'horizon dans des mers de feuillage,
    Une grêle fumée au-dessus, dans un champ
    Une femme de loin appelant...

  • À Berthel.

    Avec une jeune veuve,
    Tendre encor, j'en ai la preuve,
    Parlant breton et français
    En causant de mille choses,
    Par la bruyère aux fleurs roses,
    Tout en causant je passais.

    C'était en juin, la chaleur était grande
    Sur le sentier qui...

  • Je crois l'entendre encor, quand, sa main, sur mon bras,
    Autour des verts remparts nous allions pas à pas :
    " Oui, quand tu pars, mon fils, oui, c'est un vide immense,
    Un morne et froid désert, où la nuit recommence ;
    Ma fidèle maison, le jardin, mes amours,
    Tout...

  • Ô mes frères, voici le beau temps des vacances !
    Le mois d'août, appelé par dix mois d'espérances !
    De bien loin votre aîné ; je ne puis oublier
    Août et ses jeux riants ; alors, pauvre écolier,
    Je veux voir mon pays, notre petit domaine ;
    Et toujours le mois d'août...

  • Écris-moi, mon ami, si devant ta faucille
    Le seigle mûr de couleuvres fourmille ;
    Dis-moi, brave Berthel, si les chiens altérés
    Errent par bande aux montagnes d'Arréz.

    Hélas ! durant ce mois d'ardente canicule,
    Tout fermente ; et partout un noir venin circule....