Avis

Bonheur, faut-il que je finisse
Sans t’avoir jamais rencontré ?
Disait, mourant dans un hospice,
Un pauvre obscur, quoique lettré.
Un doux fantôme à lui se montre :
— Je suis le Bonheur ; oui, c’est moi.
Sans s’en douter tel me rencontre
Qui me suppose un train de roi.

Tu m’as vu jadis au village.
Ta Suzette, qui t’aimait tant,
C’était moi ; mais le mariage
Effraya ton cœur inconstant.
Favori d’une châtelaine,
Tu délaisses, fier de ses lacs,
Le bonheur en jupe de laine
Pour les plaisirs en falbalas.

C’était moi, la tante si sage
Qui t’eût légué, comme à son fils,
Au prix d’un court apprentissage,
Négoce, labeurs et profits.
Le travail n’a pas qu’un mobile :
Un noble but peut l’animer.
Sois, dis-je, un citoyen utile.
Tu me réponds : Je veux rimer.

C’était moi, lorsque l’indigence
Déjà fustigeait ton penchant,
Ce vieillard rempli d’indulgence
Qui t’offrit sa fille et son champ.
Des cités l’ombre est délétère ;
D’air pur, ici, viens t’enivrer,
T’ai-je dit ; cultive la terre.
Tu réponds : Je veux l’éclairer.

Devant tes pas fuyait la gloire ;
Moi, sans bruit, tapi dans un coin,
Souvent encor, tu peux m’en croire,
Je t’ai fait des signes de loin.
Mais à tes erreurs plus de trêve,
Et, sans m’accorder un coup d’œil,
Tu cours au galop de ton rêve,
Qui te jette au bord du cercueil.

L’homme s’écrie : — Ah ! plus de doute !
Oui, Bonheur, mon orgueil à jeun
T’a traité parfois, sur sa route,
Comme un mendiant importun.
Mais Dieu veut qu’aujourd’hui je meure.
Puisque enfin je te trouve ici.
Notre dernière heure est ton heure.
Viens me fermer les veux. Merci !

Collection: 
1866

More from Poet

  • Mai 1813

    Il était un roi d'Yvetot
    Peu connu dans l'histoire ;
    Se levant tard, se couchant tôt,
    Dormant fort bien sans gloire,
    Et couronné par Jeanneton
    D'un simple bonnet de coton,
    Dit-on.
    Oh ! oh ! oh ! oh ! ah ! ah ! ah ! ah !
    Quel bon...

  • Je viens revoir l'asile où ma jeunesse
    De la misère a subi les leçons.
    J'avais vingt-ans, une folle maîtresse,
    De francs amis et l'amour des chansons.
    Bravant le monde et les sots et les sages,
    Sans avenir, riche de mon printemps,
    Leste et joyeux je montais...

  • On parlera de sa gloire
    Sous le chaume bien longtemps.
    L'humble toit, dans cinquante ans,
    Ne connaîtra plus d'autre histoire.
    Là viendront les villageois
    Dire alors à quelque vieille
    Par des récits d'autrefois,
    Mère, abrégez notre veille.
    Bien, dit...

  • Sois-moi fidèle, ô pauvre habit que j'aime !
    Ensemble nous devenons vieux.
    Depuis dix ans, je te brosse moi-même,
    Et Socrate n'eut pas fait mieux.
    Quand le sort à ta mince étoffe
    Livrerait de nouveaux combats,
    Imite-moi, résiste en philosophe :
    Mon vieil...

  • Air : Contentons-nous d'une simple bouteille.

    Mes chers amis, respectons la décence,
    Ce mot lui seul vaut presque une chanson ;
    Sans équivoque, et surtout sans licence,
    Je vais parler de l'amant de Lison :
    Le drôle un jour, d'un ton fait pour séduire,...