Les dons sont variés ; et chacun a des grâces
Pour suivre avec attrait, en discernant ses traces,
Saint Paul impétueux ou l’ermite en repos,
L’apôtre des gentils ou l’aigle de Pathmos.
Chaque ouvrier chrétien, accomplissant sa tâche,
A la gloire de Dieu travaille sans relâche,
Par le glaive et la plume, également tranchants,
Par le zèle enflammé, l’éloquence et les chants :
Tandis que l’un agit, l’autre contemple et prie ;
Marie en paix sert Marthe, et Marthe aide Marie ;
L’ermite et l’orateur travaillent de concert,
L’un au sein des cites, l’autre au fond du désert !
C’est agir que prier, dans le repos austère ;
La foi qui jeûne et veille est une foi sincère !
C’est agir qu’adorer, dans le recueillement ;
Oui, c’est servir l’Eglise et le gouvernement !
Ainsi, dans la retraite, au sein de Baltimore,
Pour détourner le feu qui nous menace encore,
Et la foudre grondant sur les Etats-Unis,
Pour servir d’holocauste et sauver le pays,
D’humbles vierges, qu’abrite un obscur monastère,
Au Dieu qui les contemple offrent leur vie austère : —
Leur vie austère ! à peine on la compte ici-bas,
Et le bien qu’elles font, l’homme ne le voit pas !
Mais l’Ange seul le sait, et recueille en silence
L’encens de l’oraison, l’encens de la souffrance !
Ah ! celles-là n’ont pas la Presse aux mille voix,
Pour publier au loin et grossir leurs exploits ;
Celles-là, quand viendra le jour du grand partage,
Recevront tout entier leur céleste héritage ;
Celles-là n’auront point cueilli dans leurs chemins
Les éphémères fleurs que sèment les humains !
Humbles vierges du cloître, austères Carmélites,
Astres dont nul ne peut compter les satellites,
Votre force attractive et votre charité
Rayonnent du foyer de l’inactivité ;
Sans sortir de l’enceinte où votre Epoux demeure,
Pour le siècle oublieux vous priez à chaque heure ;
Vous priez et jeûnez pour l’Eglise et l’Etat ;
Votre héroïsme agit sans répandre d’éclat ;
Dans l’étroite cellule et l’obscur oratoire,
Vous poursuivez sans bruit votre œuvre expiatoire ;
Et vos pieux sanglots, vos supplications,
Font descendre du ciel les bénédictions !
O vierges du Carmel, qu’enflamme la prière ;
Vous que l’amour élève au-dessus de la terre ;
Vous qui loin du tumulte, à l’ombre d’un couvent,
Puisant dans l’abstinence un chaste enivrement,
Chantez avec ardeur les célestes louanges ;
Vierges ! priez pour moi, car vous êtes des anges !
Que m’importe, ou la gloire, ou le bruit d’un vain nom,
Ou l’immortel laurier cueilli sur l’Hélicon ;
Que m’importe l’éloge ou la critique amère,
Vierges du pur amour, si j’ai votre prière !
Priez donc, ô mes sœurs, priez pour que mes chants,
De vos hymnes d’amour soient des échos touchants ;
Pour qu’au monde exprimant les choses les plus saintes,
Ils soient comme un concert d’harmonieuses plaintes ;
Emportés par le vent, pour qu’ils ne tombent pas
Dans le champ de l’envie et sur des cœurs ingrats ;
Et qu’en mourant tranquille, au moins je puisse dire :
A toi seul, ô mon Dieu, j’ai consacré ma lyre !
Pour le plaisir fiévreux d’un coupable succès,
Qui ne laisse après soi qu’amertume et regrets,
Je n’ai jamais chanté ce que ta loi condamne,
Esclave et vil écho de la foule profane !
Non, je n’ai pas, pour plaire à tous ces apostats,
Dont le maître est Satan et le nom est Judas ;
Pour plaire au monde impie, apôtre du blasphème,
Préféré la laideur à la Beauté suprême !
Je n’ai pas fait vibrer, docile tour-à-tour
A l’amour criminel comme au céleste amour ;
Docile à tous les tons d’une molle harmonie,
Qu’inspire à ses élus un infernal génie ;
Je n’ai pas fait vibrer l’angélique instrument,
Le Kinnor étoile qui vient du firmament,
Pour qu’à mes faux accords, qui font gémir l’Eglise,
Le siècle émerveillé s’émeuve et s’électrise !
Je n’ai point, abusant des dons les plus sacrés,
Versé l’impur poison dans des cœurs égarés,
Disant avec Soumet qu’un flot d’orgueil soulève :
« La lyre peut chanter tout ce que l’âme rêve »
Comme si l’on pouvait, poète audacieux,
Traduire un rêve impie en vers licencieux !
Comme si l’on pouvait des mauvaises pensées
Réaliser le crime en phrases cadencées !
Et comme si de l’Art, — l’Art du ciel descendu,
Le souffle inspirateur n’était pas la vertu !
Aux Carmélites de Baltimore
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