À M. Victor Hugo

Quand l’émeute hurla dans nos faubourgs malades,
Quand le peuple, pour voir s’en aller le vieux roi,
Stupide, escalada les hautes barricades,
Ce jour-là je songeais à toi !

À toi, dont nos beaux lys ont ombragé la tête,
Enfant capricieux que la gloire a gâté !
À toi, sublime aiglon, couvé dans la tempête,
Sous l’aile de la royauté !

À toi, chantre de Reims, où la muse française
Du sceptre des Capets a rajeuni les droits,
Et mis un fleuron neuf à la couronne où pèse
La gloire de soixante rois !

Je me disais alors (et je devais le croire)
Je me disais : « Combien gémira de douleur
Le luth harmonieux, si fidèle à leur gloire :
Qu’il sera beau dans leur malheur ! »

Ô ! que tu m’as trompé, jeune homme au cœur de flamme !
Étoile qui sitôt touches à ton déclin !
Chanteur, qui dans les plis de la vieille oriflamme
Berçais le royal orphelin !

Ainsi donc plus d’amour ! plus de ces chants fidèles
Que ta pudique enfance a consacrés à Dieu !
Séraphin, les méchants t’ont coupé les deux ailes :
Au ciel il te faut dire adieu !

Moi, dont le cœur bondit quand le monde te loue,
Je pleure en te voyant tacher ton blanc cimier,
Et souffletter la France, et traîner dans la boue
Le manteau de François premier !

Que te sert de salir les trônes qui chancellent ?
De profaner le temple où tu prias d’abord ?
Vois ! — En flots turbulents les peuples s’amoncellent
Pour forcer la digue du port !

Céleste ambassadeur près des rois de ce monde,
Le poète est chargé des intérêts d’en haut :

Rien ne doit détourner sa mission féconde
Qui va plus loin que l’échafaut.

La lyre est une épée ardente et magnifique
Que la mort ne fait point rentrer dans le fourreau ;
Et Chénier vers le ciel, avec sa lyre antique,
S’envolait des mains du bourreau !

Prends garde ! — Car le Dieu que ta bouche renie,
Le Dieu qui t’a marqué de son doigt sur le front,
Un jour demandera compte de ton génie,
Et tes œuvres lui répondront.

Tu pleureras alors de mêler tes paroles
À cette fête impie, et d’applaudir au jeu
De ces vils histrions, qui, vingt ans, dans leurs rôles,
Ont raillé les hommes et Dieu.

Au culte de sa mère il faut qu’un fils réponde.
Ta mère a vu le jour au bord des océans,
Chez ces vieux vendéens que le vainqueur du monde
Nommait un peuple de géants.

Je t’en supplie au nom de ta mère chérie,
Reviens, reviens à ceux qui souffrent, ô Victor !
Sur les membres saignants de la vieille patrie,
Viens jeter ton écharpe d’or !

Donne-moi cette joie avant ma dernière heure.
Reviens, la nuit est sombre, et grand est le péril ;
Songe à l’enfant qui prie, à la mère qui pleure,
À ceux qui pleurent dans l’exil !

Victor, ce n’est pas bien de repousser les larmes,
Ami, tu fus ingrat ; tu serais inhumain.
Ah ! reviens à ton poste, ô mon compagnon d’armes,
Ta vaillante épée à la main !

Car je veux que l’honneur rayonne sur ta tombe.
Laisse les charlatans t’appeler à leur jeu :
Il vaut mieux demeurer sous l’averse qui tombe
Que de se chauffer à leur feu.

À de tels brocanteurs avant que je me vende,
J’attacherai le sac au bout de mon bâton,
Et j’irai défricher notre sauvage lande
Avec mes ongles de Breton.

Mais que ton nom du moins recouvre son prestige,
Que l’avenir vengeur ne dise point de toi : —
« Le génie eut aussi sa fièvre et son vertige
Quand Louis-Philippe était roi ! »

Collection: 
1820

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