Oui ! cette plainte échappe à ma douleur :
Je le sens, vous m’avez perdue.
Vous avez, malgré moi, disposé de mon cœur,
Et du vôtre jamais je ne fus entendue.
Ah ! que vous me faites haïr
Cette feinte amitié qui coûte tant de larmes !
Je n’étais point jalouse de vos charmes,
Cruelle ! de quoi donc vouliez-vous me punir ?
Vos succès me rendaient heureuse ;
Votre bonheur brillait dans mon chemin ;
Et quand je vous voyais attristée ou rêveuse,
Pour vous distraire encor j’oubliais mon chagrin.
Mais ce perfide amant dont j’évitais l’empire,
Que vous avez instruit dans l’art de me séduire,
Qui trompa ma raison par des accents si doux,
Je le hais encor plus que vous.
Par quelle cruauté me l’avoir fait connaître ?
Par quel affreux orgueil voulut-il me charmer ?
Ah ! si l’ingrat ne peut aimer,
À quoi sert l’amour qu’il fait naître ?
Je l’ai prévu, j’ai voulu fuir ;
L’amour jamais n’eut de moi que des larmes :
Vous avez ri de mes alarmes,
Et vous riez encor quand je me sens mourir !
Grâce à vous, j’ai perdu le repos de ma vie :
Votre imprudence a causé mon malheur,
Et vous m’avez ravi jusques à la douceur
De pleurer avec mon amie !
Laissez-moi seule avec mon désespoir ;
Vous ne pouvez me plaindre ni m’entendre ;
Vous causez la douleur sans même la comprendre :
À quoi me servirait de vous la laisser voir ?
Victime de mon cœur, par vous-même trahie,
J’abhorre l’Amitié, je la fuis sans retour,
Et je vois, à sa perfidie,
Que l’ingrate est sœur de l’Amour !